Sophie Lapalu : Qu'entends tu par "marche mentale"?
Jean-Christophe Norman: C'est une sorte de mouvement permanent. Même quand le corps est au repos, l'esprit génère du mouvement et du changement. L'esprit est en marche. C'est un peu une réalité d'insomniaque, mais pas seulement. Je crois beaucoup aux choses qui s'inventent dans un état d'éveil, presque malgré soit. Et souvent je crée des situations qui vont dans ce sens. Par exemple, durant les marches très longues que j' ai pu réaliser à New-York, à Tokyo ou encore à Vilnius, j'ai vécu plusieurs moments où je basculais dans quelque chose que je ne maîtrisais plus du tout.
L'épuisement peut avoir un effet libérateur, propice à une sorte de rêverie ou de détachement. Le corps continue sa "marche" de manière presque mécanique et l'esprit est ailleurs. Il arrive aussi que je relie dans des performances la marche et le sommeil. Dans chacune des deux parties, le temps, la durée de l'action sont très exagérés. L'action perd alors sa fonction initiale: se rendre quelque part ou se reposer.
Au musée Géo Charles d'Echirolles, j'ai réalisé une performance intitulée Un jour une nuit - (sleeping walk ). Il s'agissait de donner une suite à une marche très longue que j'avais réalisée lors d'un de mes séjours à New-York. Durant un jour et nuit, sans interruption, j' avais marché à travers les rues de Manhattan, de Harlem et encore du Bronx. Je me suis perdu dans l'espace de la ville et dans le temps de la marche. Je réalisais, en fil conducteur, un enregistrement sonore, avec un capteur léger. Rien ne me distinguait des autres passants, et pourtant je me trouvais dans une sorte d'état d'ivresse. Dans le musée, j'ai décidé de dormir pendant une durée identique. Je me trouvais sous une tente. Le public ne pouvait pas me voir, mais il me savait présent. Dans une autre tente, la bande-son de la longue marche était diffusée. Ainsi je reliais des lieux et des moments différents.
S.L. : Peut-on dire que tu es devenu artiste suite à une contrainte (ton état de santé)? Est -ce que cela se ressent aujourd'hui dans ta pratique? Il me semble que tes marches sont élaborées à partir de contraintes très précises que tu te t'imposes : aller de tel point à tel point de telle ville en comptant les secondes, minutes et heures, et en les inscrivant à la craie sur le sol, par exemple. Est-ce que tu penses que c'est lié ?
3 Septembre - premier jour de la performance de Jean-Christophe Norman
Biennale de Poznań 2010
Biennale de Poznań 2010
J-C. N. : J'aime me fixer des contraintes. Peut-être est-ce pour avoir mis le plus possible à distance les contraintes du quotidien ! Je ne sais pas. Toujours est-il qu'en fixant d'autres règles, des règles absurdes la plupart du temps, il y a de fortes chances pour que des imprévus surgissent. C'est une façon de défier le quotidien. On m' a souvent parlé de Michel de Certeau à ce propos. Je connaissais le titre de son livre L'invention du quotidien, il me faisait rêver, mais je ne l' avais pas lu. Là encore c' était tenu à distance...
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