Après une première rencontre en juillet 2010, Jean-Christophe Norman et moi même avons décidé de préciser notre échange par écrit. L'artiste m'explique ainsi quelle est sa pratique, de sa genèse à son développement, et je réagis, l'interroge, jour après jour.
Sophie Lapalu : "Relier des lieux, des moments", mais également des personnes, comme lorsque tu effectues des marches simultanées dans des lieux différents avec Jean Dupuy ou Jeff Perkins. Pourquoi cherches-tu à relier, soit "lier ensemble", "rendre solidaire" deux "objets" (lieux, temps, sujets...) ? Est-ce pour établir une relation, pour les mettre en rapport?
Sophie Lapalu : "Relier des lieux, des moments", mais également des personnes, comme lorsque tu effectues des marches simultanées dans des lieux différents avec Jean Dupuy ou Jeff Perkins. Pourquoi cherches-tu à relier, soit "lier ensemble", "rendre solidaire" deux "objets" (lieux, temps, sujets...) ? Est-ce pour établir une relation, pour les mettre en rapport?

Jean-Christophe Norman : C’est une question très intéressante que tu poses. L’idée de la marche simultanée m’est venue très naturellement, pour continuer un moment agréable. Au cours d’une exposition intitulée Dans les pas de Raymond Hains, je suis allé marcher avec Jean Dupuy. Nous ne nous connaissions pas, et nous nous sommes donc “rencontrés” en marchant. Je me suis dit que nous pourrions continuer l'expérience ainsi de temps à autre. Mais une grande distance géographique nous séparant, j’ai naturellement pensé à cette possiblité de marcher ensemble dans des lieux séparés, et dans un temps qui nous est commun. Autant je me méfie de la simultanéité ou de l’instantanéité de notre société (sans partager complètement la radicalité de Paul Virilio), autant cette idée d’abolir la distance tout en la conservant m’intéresse. Alors, de temps à autre, je téléphone à Jean et lui et moi partons dans ce même mouvement. Il est même arrivé qu’un ami se joigne à nous. Lui se trouvait dans la nuit au Japon. Il n’a jamais rencontré Jean mais il a marché avec lui à l’occasion !
Avec Jeff Perkins nous avons réalisé une longue marche continue durant 24 heures. Jeff se trouvait à New-York et moi à Vilnius. Nous ne marchions pas simultanément (même s’il nous est souvent arrivé de le faire) mais par tranche de six heures. Sans le savoir c’était les prémisses de la performance Un jour-une nuit (sleeping walk ). Pour cette action (A long day between Vilnius and New York) chacun emportait une caméra. J’avais proposé à Jeff de filmer le ciel et de mon côté je filmais le sol. Tout ça ne doit pas être très loin de l’idée de l'esprit de cordée qui se matérialise en haute-montagne. Mais c’est une vision à postériori, je n’y ai pas pensé sur le moment !
Pour revenir à ta question et tout particulièrement à la mise en rapport avec les personnes, je dirais là encore qu’il s’agit de créer du mouvement, et des possibilités de relations ou de liens qui échappent à la technique. Ici, l’idée de technique est un peu fantasmée, c’est un environnement. Dans les faits ce sont des relations humaines et/ou des relations que tout un chacun peut interpréter, relater ou créer.
S.L. : Un point paradoxal, et non moins intéressant, est que tu parles de mettre le quotidien à distance dans ta pratique. Il y a donc le fait de relier, comme on vient de le voir, et le fait de mettre à distance. Qu'est ce qui se joue entre ces deux notions là ?

J-C. N. : Tu touches là un point qui me préoccupe beaucoup. Je pourrais même dire que la distance est un des points de départ de tout mon travail. De façon paradoxale, la distance me rapproche des choses. Quand beaucoup veulent abolir les distances, de mon côté je fais en sorte qu’elles s’expriment. J’ai toujours été frappé par le potentiel poétique qui ressort de la distance. J’ai le souvenir des images des premières explorations himalayennes et les photographies des pionniers de la haute-montagne. On ne voyait pas grand chose, et de ce fait l’imagination jouait à plein régime. Je revois encore les tempêtes, le vide, les silhouettes, et une certaine idée lointaine du paysage. Toutes ces images sont restées intactes dans mon esprit.
Alors la mise à distance du quotidien, c’est peut-être, tout simplement, la mise à distance du trivial et la reconquête de certains rêves. La réalité peut très vite devenir très étrange. L’entre-deux entre le quotidien et la distance dans la pratique, c’est précisément là où les choses se jouent, mais je ne peux pas en décrire les contours, je ne peux que tenter de les évoquer. Avec l’évocation, on est en plein dans la distance; essayer de trouver la bonne distance - ce serait mon idée du minimalisme - pas dans la forme, mais dans l'esprit. Je devrais sans doute parler aussi d'une économie de moyens qui se conjuguerais avec l'idée de dépense. Je crois beaucoup à la dépense de soi, à une dépense qui n'aille pas dans le sens de l'empilement des choses.
Alors la mise à distance du quotidien, c’est peut-être, tout simplement, la mise à distance du trivial et la reconquête de certains rêves. La réalité peut très vite devenir très étrange. L’entre-deux entre le quotidien et la distance dans la pratique, c’est précisément là où les choses se jouent, mais je ne peux pas en décrire les contours, je ne peux que tenter de les évoquer. Avec l’évocation, on est en plein dans la distance; essayer de trouver la bonne distance - ce serait mon idée du minimalisme - pas dans la forme, mais dans l'esprit. Je devrais sans doute parler aussi d'une économie de moyens qui se conjuguerais avec l'idée de dépense. Je crois beaucoup à la dépense de soi, à une dépense qui n'aille pas dans le sens de l'empilement des choses.
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