Sophie Lapalu : Pourtant, il me semble que la distance est également dans les formes que tu produis. Il y a la distance que tu parcoures, puisqu'une distance c'est une aussi un espace qu'on franchit pour aller d'un lieu à un autre. Mais il y a également le fait de nous mettre, nous, spectateurs, à distance : personne n'est convoqué pour assister à tes marches, et les images qui permettent de les transmettre sont énigmatiques, en camaïeu de gris, et évoquent précisément celles des pionniers de la haute montagne. Avec ces images, tu instaures une autre distance, et nous laisse dans l'expectative : Où est-ce? Quand a été prise cette image?
Comment appréhendes-tu ces images et leur production?
Jean-Christophe Norman : Précisément, je me demande souvent si ce ne sont pas les images trop illustratives qui nous tiennent à distance. Elles nous donnent l’impression de tout savoir, d’être informés, documentés, mais nous apportent-elles l’espace nécessaire à la réflexion d’un côté et à la rêverie de l’autre? Je ne refuse pas les images, bien au contraire. Et je ne cherche à pas à mettre les spectateurs à distance. Ce que je souhaite tenir à la plus grande distance possible c’est le spectacle et le spectaculaire. J’ai l’impression que l’évocation procure une vision plus nette des choses, en partie parce qu’elle est "complétée" par le spectateur. Par exemple, dans une série récente intitulée Cover, j’ai recouvert des photographies d’oeuvres et de performances iconiques d’art contemporain. Toutes ces œuvres ont été réalisées en 1968. Ces photographies ont été reproduites dans un journal que j’ai trouvé lors d’une visite d’exposition à la villa Magnin lors d’un voyage en Italie. Un peu plus d’un an après la découverte de ce journal, j’ai décidé de recouvrir à l’aide de graphite chacune de ces images. Cela a été un travail méticuleux qui m’a demandé beaucoup de temps. Je voulais obtenir un certain résultat. Faire en sorte que les images apparaissent ou disparaissent selon l’endroit où le spectateur est placé. Klaus Speidel a écrit un beau texte à ce propos. Il dit par exemple qu’il y a "réintroduction de la part d’imaginaire que la photographie documentaire tend à bloquer parce qu’elle essaie de tout donner à voir. L’engament que les Covers demandent aux visiteurs est similaire à celui des anamorphoses, où une imagee cache une autre et où les déplacements du visiteur deviennent productifs.” Je pourrais reparler de Thomas Bernhard et de mon expérience de lecteur. Dans ces livres Bernhard ne décrit jamais le paysage et pourtant celui-ci apparaît avec beaucoup de force dans notre esprit. Nous avons réalisé une construction et nous avons accompli la distance
qui nous sépare de lui.
En ce moment, je commence un projet qui a comme point de départ, un livre de Walter Bonatti (guide italien qui a marqué l’histoire de l’alpinisme), intitulé Les grands jours. Là encore, je procède à un geste de recouvrement de chacune des trente trois photographies qui illustrent les exploits de Bonatti. Dans un deuxième temps, je vais me rendre au pied des différentes faces qu’il a gravit. Je réaliserai des photographies au pied de chacune de ces grandes faces alpines. Là, distance, rapprochement, seuil tentent de se rejoindre.
graphite sur papier, Jean-Christophe Norman 2010
S.L. : Tu conjugues l'économie de moyens à la dépense de soi. N'y aurait-il pas quelque chose du retrait de l'artiste ici? (Tu te dépenses (jusqu'à épuisement?), tu n'apparais pas dans les images (ou très peu), te refuses de créer des d'objets "bien faits" ou sur-produits...)
J-C. N. : Plus qu’un retrait, je vois une volonté d’autonomie. Je réalise mes images tout seul, je suis presque toujours derrière l’objectif. Donc je n’apparais que très rarement. Et quand je parle de dépense, il s’agit avant tout d’une envie de créer une unité dans l’action, d’atteindre quelque chose. L’épuisement je n’y pense pas, c’est juste une conséquence, mais en aucun cas un but. Cela aurait à voir avec une idée de souffrance dont je me sens complètement étranger. Quant à l’idée de “bien fait” ou “sur-produit”, je ne sais pas. Je n’y pense pas. Cela peut-être des images sophistiquées ou brutes, les vidéos peuvent être montées ou pas. Encore une fois, il n’y a pas de règle. Avec le projet Constellation walks (CAC Vilnius ), tout au long de l’année 2008, j’ai redessiné, par la marche, les contours de Vilnius à l’intérieur d’une constellation de villes (New-York, Metz, Besançon, Berlin, Tokyo, Nice, Paris ). A chaque fois, seule une partie des contours de la capitale lituanienne était tracée à l’intérieur d’une autre ville. C’est donc l’addition de tous ces parcours qui faisaient fonctionner l’ensemble. A cette occasion, j’ai réalisé une série de captations vidéo avec la caméra orientée vers le sol. Le résultat est une vidéo d’une trentaine de minutes où le montage est très présent. Un chemin étranger se dessine et s’insinue dans des espaces urbains. Mais là pas besoin de visas, la voie est libre.
J-C. N. : Plus qu’un retrait, je vois une volonté d’autonomie. Je réalise mes images tout seul, je suis presque toujours derrière l’objectif. Donc je n’apparais que très rarement. Et quand je parle de dépense, il s’agit avant tout d’une envie de créer une unité dans l’action, d’atteindre quelque chose. L’épuisement je n’y pense pas, c’est juste une conséquence, mais en aucun cas un but. Cela aurait à voir avec une idée de souffrance dont je me sens complètement étranger. Quant à l’idée de “bien fait” ou “sur-produit”, je ne sais pas. Je n’y pense pas. Cela peut-être des images sophistiquées ou brutes, les vidéos peuvent être montées ou pas. Encore une fois, il n’y a pas de règle. Avec le projet Constellation walks (CAC Vilnius ), tout au long de l’année 2008, j’ai redessiné, par la marche, les contours de Vilnius à l’intérieur d’une constellation de villes (New-York, Metz, Besançon, Berlin, Tokyo, Nice, Paris ). A chaque fois, seule une partie des contours de la capitale lituanienne était tracée à l’intérieur d’une autre ville. C’est donc l’addition de tous ces parcours qui faisaient fonctionner l’ensemble. A cette occasion, j’ai réalisé une série de captations vidéo avec la caméra orientée vers le sol. Le résultat est une vidéo d’une trentaine de minutes où le montage est très présent. Un chemin étranger se dessine et s’insinue dans des espaces urbains. Mais là pas besoin de visas, la voie est libre.
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