dimanche 9 février 2025

Léonore Chastagner, Laisser glisser l’attente

 texte écrit pour le catalogue du 68eme Salon de Montrouge




Un tee-shirt soigneusement plié en faïence beige, légèrement plus petit que nature. L’étiquette enroulée sur elle-même, le col ourlé sur les coutures (Sans titre, 2023). Une main échelle 1 dont les doigts, repliés sur le vide, forment un creux en faïence orange mate (Sans titre, 2021). Un corps de femme miniature, vêtu de simples jean tee-shirt, buste acéphale, jambes croisées, mains jointes sur la naissance des cuisses, comme dans l’expectative (Sans titre, grès, 2023).

Le travail de céramique est pour Léonore Chastagner un refuge ; c’est à l’abri de l’atelier qu’elle fait glisser l’attente – traditionnellement affiliée au féminin – dans l’immobilité. Une immobilité puissante, qui permet la suspension du temps. L’artiste dit qu’elle sculpte pour que cette attente ne soit pas celle due à un élément extérieur ; c’est elle qui décide délibérément de laisser couler les heures, engagée dans le travail. Ses sculptures dépendent d’ailleurs de cette donnée : selon le temps dont elle dispose, elles seront plus ou moins grandes, assumant d’investir la durée dans les œuvres elles-mêmes. Elle enregistre ainsi une activité quotidienne de pensée et d’observation, garde une trace de ce qui l’entoure : une pelote de ficelle, ses doigts, une trousse de toilette.

Léonore Chastagner a d’abord fait des études d’histoire de l’art avant d’intégrer la Villa Arson. Elle raconte que la première année d’archéologie l’a marquée ; elle pensait étudier l’art et se retrouve à observer des vases funéraires. Un vertige la prend, une inquiétude l’assaille quant à l’échelle d’une civilisation et sa possible extinction. Elle réalise que ce qui perdure, c’est bien souvent la céramique, comme ces statues votives enterrées avec les mort·es, créées non pas pour être vues mais pour accompagner la disparition. 


Longtemps, dans son travail, l’écriture et la sculpture ont été en balance, sans trouver comment se concilier. L’une relatait ce qu’il se passait à l’extérieur, l’autre au contraire présentait une intimité silencieuse. Dernièrement, l’artiste a trouvé comment les réunir ; les photos de ses céramiques côtoient celles placées sous cloche ; le récit d’anecdotes entre en résonance avec des bas-reliefs ; des schémas de pensée semblent nous offrir une clé de lecture, mais ils restent indéchiffrables (exposition « Et gentille aussi ? », Le Kiasma, 2024). Dans ce journal intime que dessinent ces œuvres, il nous est proposé de cesser de déconsidérer ce qui appartient au domestique, de se dégager des rapports binaires entre passivité et action, domination et soumission, artistique ou artisanal. Disposés sur un fin rectangle de grès, une méridienne molletonnée, une paire de chaussons, un livre, face contre sol (Sans titre, 2022). Ces petites maquettes d’intérieur ne conservent que quelques éléments, un peu comme lorsque l’on tente de se remémorer une chambre d’enfance où seul un détail nous revient ; le vide ouvre la possibilité au souvenir de se reconstituer.






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