dimanche 9 février 2025

Les enfants du compost - Anastasia Simonin et Kazuo Marsden

Le sourire aux lèvres grises, le duo pose. Anastasia Simonin porte dans ses bras un petit chihuahua, Kazuo Marsden berce une chrysalide colossale et jaunâtre. Celle-ci s’avère être leur première sculpture : une énorme tubercule moulée en latex remplie de béton. Ironisant sur le couple hétérosexuel qu’iels forment, la photographie pourrait dresser le portrait de membres de la Communauté du compost imaginée par Donna Haraway. Les parentèles dépareillées y sont encouragées grâce à la mise en relation des nouveaux·elles-né·es avec des symbiotes animaux, afin que la sensibilité de ces derniers soit perçue de manière plus vive par l’humain (We love each other so much, 2022).

Avant de suivre un master à l’EHESS sur la relation que nous entretenons avec les pigeons, Anastasia Simonin est diplômée des beaux-arts d’Angers. Kazuo Marsden a, quant à lui, suivi un cursus à l’école d’art de Marseille après deux années de médecine. Leur rencontre donne lieu à une collaboration fructueuse ; iels travaillent le bois jusqu’à le rendre sensuel comme l’est la surface de la peau, cherchant à provoquer « une démangeaison tactile ». 

 
Sharing A Bee’s wet Dream (2022) est constitué de deux objets en pin à caresser, entre l’objet transitionnel et le joystick, énigmatiques et ergonomiques. Placés sur un banc, ils invitent à la prise en main avant de s’asseoir face à un écran. Là, une orchidée est filmée à la focale ; l’image floutée se précise, devient plus nette et disparaît à nouveau. Charles Darwin était passionnée par ces fleurs « sexuelles à l’absurde1 » ; il a longuement analysé leurs stratagèmes destinés à attirer les insectes pollinisateurs. Mais il a négligé « tout ce qu’il y a de sensuel, de savoureux [...]2» ; car les guêpes ne se contentent pas de transporter du pollen, elles font littéralement « jouir » les orchidées, comme les « bâtons de joie » sculptés par le duo cherchent à procurer un réel plaisir charnel. Depuis, il a été démontré l’interdépendance entre espèces : arbres et champignons, humains et bactéries, tous·tes sont nécessaires les un·es aux autres. La théorie endosymbiotique propose d’ailleurs l’hypothèse selon laquelle des bactéries auraient été incorporées par certains micro-organismes unicellulaires, donnant naissance aux mitochondries, « centrales énergétiques » de nos cellules. Les deux artistes resserrent alors encore l’échelle : Mitochondrial park (2024) ressemble à une grande cuiller en bois que l’on imagine plongée dans la soupe primordiale. Le cuilleron est creusé de circonvolutions, telles les membranes internes de l’organite, tandis que le manche s’allonge tout en sinuosités. Un sillon creusé accueille une bille, renvoyant tout à coup aux jeux de labyrinthe pour enfants. L’identification à des formes connues échappe en permanence : focales sur la peau comme corps célestes lointains (Core, 2024), empreintes digitales en sudation comme vues de la voie lactée (Touchy Subject, 2023), les échelles grandissent et rétrécissent à la fois. Les œuvres, organiques et suggestives, toujours équivoques, ne cessent de faire glisser leur attribution.

1Donna J. Haraway, Vivre avec le trouble, « Sympoïèse, La symbiogenèse & les arts de vivre avec le trouble », Les éditions des mondes à faire, Vaulx-en-Velin, p. 133

2 Idem







 

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