Avec Victor André, Emma Baffet, Clélia Barthelon, Antoine Beaucourt, Chlöé Bedet, David Blasco, Vincent Blesbois, Hervé Bréhier, Hélène Caiazzo, Cédric Canaud, Tom Castinel, Marion Chambinaud, Pierre-Olivier Dosquet, Philippe Eydieu, Bertrand Festas, Audrey Galais, Fabrice Gallis, Claire Goncalves, Marina Guyot, Jeanne Kamptchouang, Marie L’Hours, Lény Labeaume, Sébastien Maloberti, Zach Mitlas, Marie Muzerelle, Clara Puleio, Marion Robin, Anne-Marie Rognon, Christophe Scarpa, Bruno Silva, Marguerite Soulier, Amélie Sounalet, Joana Teule, Valentine Traverse, Marjolaine Turpin, Josselin Vidalenc, Sarah Vigier.

C’est à l’aide d’un énoncé non dénué d’humour qu’a répondu l’association Non Breaking Space – dont le nom n’est autre que la traduction de l’espace insécable, cet espace typographique qui ne sépare pas deux éléments mais au contraire les relie pour qu’aucun ne soit rejeté. NBSP a choisi d’unir les pratiques artistiques disparates selon un protocole très précis et néanmoins parfaitement arbitraire : le poids. Les œuvres exposées au musée devront faire exactement le même poids. Or si l’on peut affirmer sans trop se tromper que, dans l’histoire de l’art, tous les éléments constitutifs d’une œuvre ont fait l’objet de recherches de la part des artistes, qu’en est-il du poids ? A-t-il une réelle importance ? Ne serait-ce pas un impensé de l’histoire de l’art ?
« Les Merdes de Manzoni, tu sais, il y en a 90, et leur poids net est de 30 grammes (dit Manzoni). J’ai eu la chance de manipuler celle qui a été ouverte par Bazile, et qui est conservée à l’IAC. J’ai demandé à ce qu’on la pèse. 30 grammes tout pile. Cela m’a scotchée de précision. » Camille Paulhan m’a rappelée que les Merdes d’artiste (1961) de Piero Manzoni, mises en conserve, pèsent toutes 30 grammes. Je réalise aussi combien les corrélations entre masse, densité, charge, tension et pesanteur formulent chez nombre d’artistes un vocabulaire fondamental. La mesure, que l’on pense à Marcel Duchamp (Trois stoppages étalon, 1913/1964), Jannis Kounellis (Sans titre, acier, café moulu, 1969) ou stanley brouwn (Trois Pas = 2587mm, 1973), semble calibrer un impossible hasard, le poids mystérieux des pensées, le chemin que parcourt un individu mais surtout l’arbitraire du système métrique comme la difficulté à se conformer aux normes régies. Cette difficulté, attachée à des préoccupations féministes, Eleanor Antin la rend exemplaire en faisant de son corps la sculpture à affiner – il s’agit de perdre du poids – pour correspondre aux canons de beauté antique (CARVING: A Traditional Sculpture, 1972). Peser, mesurer, compter, comparer, autant d’opérations qui ne sont pas innocentes : elles déterminent la règle, calibrent la norme et se plient aux instances de pouvoir qui les promulguent. Le système métrique décimal que nous connaissons a été désigné comme officiel après la Révolution française ; des étalons du mètre et du kilogramme sont créés et déposés aux Archives nationales. Un mètre-étalon en marbre nous invite toujours à nous mesurer à lui sur la façade du 36 rue de Vaugirard à Paris. L’emploi de tout autre système est alors interdit. Mais ici, quel est l’étalon de cette exposition ? À quoi faudra-t-il se conformer ?
À une brique. Une simple brique gallo-romaine auvergnate, en terre cuite, qui nous contemple du haut de ses 1800 ans et de ses 7320 grammes. Inaliénable et imprescriptible, sans intérêt particulier, elle semble destinée à rester confinée dans les réserves du musée. C’était sans compter sur la fortune d’une rencontre opportune avec Non Breaking Space ; la voilà érigée au rang d’étalon. Ainsi toutes les œuvres que vous venez d’observer – sur le plancher réalisé pour l’occasion – doivent se conformer au poids de la modeste brique. Le caractère autoritaire du protocole proposé aux artistes se trouve anéantit pas la discrétion de l’objet référentiel choisi. Quant à l’absurdité de cette équation, elle permet de réunir la pluralité des gestes tout en laissant place à la disparité des pratiques. Sous la rotonde du musée, les polyphonies et autres dissonances s’accordent ensemble à la construction d’une œuvre chorale.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire