
McLean, intervention à Casgrain/Fairmont, Montréal
Patrice Loubier est critique et professeur à l'Université de Québec à Montréal (UQAM). Passionné par les surréalistes, il s'est attaché à observer de façon aigüe tout ce qui entourait son quotidien, l'amenant à explorer la richesse des gestes posés dans l'espace public par les artistes montréalais... Anarchie douce, expérience intrigante, il évoque ici un art qui se fait furtif pour mieux nous toucher, sans intermédiaire et en dehors de tout système.
Je l'ai rencontré cet été (aout 2008) à Montréal, et l'entretien vient de paraître dans area revu)e( L'art et la valeurhttp://www.areaparis.com/
Dans l’ouvrage Les Commensaux. Quand l’art se fait circonstances, vous nommez « art furtif » les pratiques clandestines, qui se font à la dérobée, qui pénètrent les espaces publics et sociaux de façon fugace, discrète. L’art furtif est-il alors une forme de rejet du marché de l’art ? De son économie ?
Patrice Loubier : Je ne pense pas, bien que nous ne puissions généraliser. Il faut étudier cette question au cas par cas. En général, les artistes ne sont pas motivés par une opposition, mais par quelque chose de positif : aller chercher un autre public, un autre lieu que la galerie, une échelle de temps plus longue (certains signes dans l’espace public peuvent avoir une durée de vie plus longue qu’une plage d’exposition). Il s’agit d’une recherche d’expériences différentes afin de varier les paramètres. L’œuvre est laissée à elle-même, elle n’est pas sujette à la seule contemplation des amateurs de galerie. Même si des gens sont au courant du geste, le public de l’art n’est alors pas le seul public. L’autre idée, c’est d’avoir un impact sur la vie, aussi minime et provisoire soit-il.
Ce n’est donc pas un rejet du marché, mais, de façon implicite (car non militant), cela découle plus d’une volonté d’autonomie, de secouer cette dépendance habituelle aux ressources pécuniaires, aux espaces de diffusion, aux demandes d’autorisation. Les artistes désirent une possibilité d’agir sans entrave. Cela implique d’ailleurs une économie de moyens.
Pourquoi ?
Parce que plusieurs d’entre eux travaillent avec leurs seules ressources, ou des moyens réduits. Beaucoup de gestes se font d’ailleurs dans la quotidienneté vécue. Par exemple, Devora Neumark glisse des signets dans les livres des bibliothèques ou librairies où elle passe. Maclean, lui, a remarqué que les panneaux « stop » au Québec sont devenus « arrêt ». Et dans « arrêt », il y a « art ». Avec des bandes de vinyle rouge, il a caché le « r » et le « e », de façon à ce que l’on voit apparaître le mot « art ». C’est une intervention modeste et simple, mais très astucieuse, à laquelle il procédait très tôt le matin pour ne pas être surpris, en se rendant à son atelier. Ce n’est pas une performance effectuée dans un temps et un lieu donnés, mais une initiative qui, au contraire, s’accomplit dans la quotidienneté.
L’art furtif serait-il une nouvelle forme « d’art pour l’art », qui ne se préoccupe pas de l’économie ?
Oui, en un sens, puisque à la base beaucoup d’artistes trouvent une rétribution dans le plaisir, l’agrément, la stimulation d’expérimenter quelque chose : le geste trouve alors sa finalité en lui-même. Cela renvoie au jeu. Par contre, même si la méthode suppose un geste un tant soit peu secret, l’artiste le pose dans un espace public, il est donc visible. Il y a un réel désir de communiquer. Tout en restant a priori incognito, l’artiste exprime un désir de se manifester. Maclean va faire ce geste pendant des mois, des gens remarquent les panneaux trafiqués, et la rumeur et le bouche à oreille prennent le relais. Puis la presse est mise au courant, son geste est retracé par un quotidien, des photos des panneaux paraissent. Même si on ne sait pas alors pour autant qui en est l’instigateur, le geste est ainsi peu à peu connu, il trouve un rayonnement. Dans un deuxième temps, un autre quotidien montréalais, The Gazette, rencontre l’artiste, l’interviewe, et Maclean révèle alors le pot aux roses. Tout cela s’intègre à sa reconnaissance, et son geste acquiert un statut nouveau à partir de là.
Au Québec, les artistes bénéficient d’aides du gouvernement fédéral et de l’État du Québec. Les subventions aideraient-elles à annihiler la pression du marché de l’art et à favoriser ce genre de pratiques ?
Les programmes de subventions sont délivrés suite à des réunions d’artistes et de critiques, qui jugent du mérite artistique des projets présentés. Ceci donne une confiance envers les artistes et l’art. Cela allège en partie les artistes de la pression du marché, oui, dans la mesure où l’expérimentation et la recherche – avec le risque qui en découle – peuvent être appuyées et encouragées.
Pensez-vous alors que nous puissions « territorialiser » l’art ?
Je pense effectivement qu’il y a une spécificité au Québec, mais je ne crois pas que cela soit culturel. Il faudrait s’adresser à un sociologue et faire des comparaisons avec des données. Ici, à l’échelle de la population, il y a plusieurs revues d’art et centres d’artistes. Donc, un artiste peut se faire connaître sans passer par une galerie car on peut parler de son travail dans les journaux et publications. L’art vit un peu par lui-même, la critique se développe, dans un monde de l’art indépendant du marché, voué à l’expérimentation. Ainsi, les critères sont internes au champ de l’art : est-ce que ça renouvelle le monde de l’art, y a-t-il une rupture ? C’est le temps qui le dira…
Cette forme de « subversion » permet-elle alors la reconnaissance ?
La difficulté ici, ce n’est pas d’être connu, mais d’accéder au marché de l’art !
Les artistes arrivent-ils à vivre de leur art au Québec?
Non, ou si peu, ils sont souvent professeurs… Mais il y a aussi la loi du 1% qui permet à certains de vivre en effectuant des projets d’intégration à l’architecture.
En dehors de la réalité canadienne, certaines pratiques furtives doivent se retrouver dans des galeries. Mais sous quelle forme ?
La plupart du temps, sous la forme de documents photographiques, vidéo… qui permettent d’entrer dans les galeries ou les musées. Si l’on considère l’art furtif à la lumière de l’art conceptuel et de ses procédures, alors l’art furtif apparaît comme une conséquence ou le développement de ce type de travail, de cette démarche qui a connu un essor dans les années 70. Il a une réelle dimension historique : on peut trouver des précédents chez Acconci, Kosuth, dans la foulée de la dématérialisation de l’art. Toute la dialectique autour de la disparition de l’œuvre et du document se trouve dans l’art conceptuel. Ce dernier fait partie de notre héritage. Musées et galeries peuvent donc être sensibles à la pratique furtive de jeunes artistes, en faisant le lien avec des pratiques initiées dans les années 70. À la lumière de ces « traditions », les pratiques furtives apparaissent moins surprenantes, plus compréhensibles. Nous pouvons les situer dans une séquence historique.
Je l'ai rencontré cet été (aout 2008) à Montréal, et l'entretien vient de paraître dans area revu)e( L'art et la valeurhttp://www.areaparis.com/
Dans l’ouvrage Les Commensaux. Quand l’art se fait circonstances, vous nommez « art furtif » les pratiques clandestines, qui se font à la dérobée, qui pénètrent les espaces publics et sociaux de façon fugace, discrète. L’art furtif est-il alors une forme de rejet du marché de l’art ? De son économie ?
Patrice Loubier : Je ne pense pas, bien que nous ne puissions généraliser. Il faut étudier cette question au cas par cas. En général, les artistes ne sont pas motivés par une opposition, mais par quelque chose de positif : aller chercher un autre public, un autre lieu que la galerie, une échelle de temps plus longue (certains signes dans l’espace public peuvent avoir une durée de vie plus longue qu’une plage d’exposition). Il s’agit d’une recherche d’expériences différentes afin de varier les paramètres. L’œuvre est laissée à elle-même, elle n’est pas sujette à la seule contemplation des amateurs de galerie. Même si des gens sont au courant du geste, le public de l’art n’est alors pas le seul public. L’autre idée, c’est d’avoir un impact sur la vie, aussi minime et provisoire soit-il.
Ce n’est donc pas un rejet du marché, mais, de façon implicite (car non militant), cela découle plus d’une volonté d’autonomie, de secouer cette dépendance habituelle aux ressources pécuniaires, aux espaces de diffusion, aux demandes d’autorisation. Les artistes désirent une possibilité d’agir sans entrave. Cela implique d’ailleurs une économie de moyens.
Pourquoi ?
Parce que plusieurs d’entre eux travaillent avec leurs seules ressources, ou des moyens réduits. Beaucoup de gestes se font d’ailleurs dans la quotidienneté vécue. Par exemple, Devora Neumark glisse des signets dans les livres des bibliothèques ou librairies où elle passe. Maclean, lui, a remarqué que les panneaux « stop » au Québec sont devenus « arrêt ». Et dans « arrêt », il y a « art ». Avec des bandes de vinyle rouge, il a caché le « r » et le « e », de façon à ce que l’on voit apparaître le mot « art ». C’est une intervention modeste et simple, mais très astucieuse, à laquelle il procédait très tôt le matin pour ne pas être surpris, en se rendant à son atelier. Ce n’est pas une performance effectuée dans un temps et un lieu donnés, mais une initiative qui, au contraire, s’accomplit dans la quotidienneté.
L’art furtif serait-il une nouvelle forme « d’art pour l’art », qui ne se préoccupe pas de l’économie ?
Oui, en un sens, puisque à la base beaucoup d’artistes trouvent une rétribution dans le plaisir, l’agrément, la stimulation d’expérimenter quelque chose : le geste trouve alors sa finalité en lui-même. Cela renvoie au jeu. Par contre, même si la méthode suppose un geste un tant soit peu secret, l’artiste le pose dans un espace public, il est donc visible. Il y a un réel désir de communiquer. Tout en restant a priori incognito, l’artiste exprime un désir de se manifester. Maclean va faire ce geste pendant des mois, des gens remarquent les panneaux trafiqués, et la rumeur et le bouche à oreille prennent le relais. Puis la presse est mise au courant, son geste est retracé par un quotidien, des photos des panneaux paraissent. Même si on ne sait pas alors pour autant qui en est l’instigateur, le geste est ainsi peu à peu connu, il trouve un rayonnement. Dans un deuxième temps, un autre quotidien montréalais, The Gazette, rencontre l’artiste, l’interviewe, et Maclean révèle alors le pot aux roses. Tout cela s’intègre à sa reconnaissance, et son geste acquiert un statut nouveau à partir de là.
Au Québec, les artistes bénéficient d’aides du gouvernement fédéral et de l’État du Québec. Les subventions aideraient-elles à annihiler la pression du marché de l’art et à favoriser ce genre de pratiques ?
Les programmes de subventions sont délivrés suite à des réunions d’artistes et de critiques, qui jugent du mérite artistique des projets présentés. Ceci donne une confiance envers les artistes et l’art. Cela allège en partie les artistes de la pression du marché, oui, dans la mesure où l’expérimentation et la recherche – avec le risque qui en découle – peuvent être appuyées et encouragées.
Pensez-vous alors que nous puissions « territorialiser » l’art ?
Je pense effectivement qu’il y a une spécificité au Québec, mais je ne crois pas que cela soit culturel. Il faudrait s’adresser à un sociologue et faire des comparaisons avec des données. Ici, à l’échelle de la population, il y a plusieurs revues d’art et centres d’artistes. Donc, un artiste peut se faire connaître sans passer par une galerie car on peut parler de son travail dans les journaux et publications. L’art vit un peu par lui-même, la critique se développe, dans un monde de l’art indépendant du marché, voué à l’expérimentation. Ainsi, les critères sont internes au champ de l’art : est-ce que ça renouvelle le monde de l’art, y a-t-il une rupture ? C’est le temps qui le dira…
Cette forme de « subversion » permet-elle alors la reconnaissance ?
La difficulté ici, ce n’est pas d’être connu, mais d’accéder au marché de l’art !
Les artistes arrivent-ils à vivre de leur art au Québec?
Non, ou si peu, ils sont souvent professeurs… Mais il y a aussi la loi du 1% qui permet à certains de vivre en effectuant des projets d’intégration à l’architecture.
En dehors de la réalité canadienne, certaines pratiques furtives doivent se retrouver dans des galeries. Mais sous quelle forme ?
La plupart du temps, sous la forme de documents photographiques, vidéo… qui permettent d’entrer dans les galeries ou les musées. Si l’on considère l’art furtif à la lumière de l’art conceptuel et de ses procédures, alors l’art furtif apparaît comme une conséquence ou le développement de ce type de travail, de cette démarche qui a connu un essor dans les années 70. Il a une réelle dimension historique : on peut trouver des précédents chez Acconci, Kosuth, dans la foulée de la dématérialisation de l’art. Toute la dialectique autour de la disparition de l’œuvre et du document se trouve dans l’art conceptuel. Ce dernier fait partie de notre héritage. Musées et galeries peuvent donc être sensibles à la pratique furtive de jeunes artistes, en faisant le lien avec des pratiques initiées dans les années 70. À la lumière de ces « traditions », les pratiques furtives apparaissent moins surprenantes, plus compréhensibles. Nous pouvons les situer dans une séquence historique.

Diane Borsato, The embroidery Bandit, Canada
Diane Borsato va dans des magasins de vêtements, et feint d’essayer des habits dans la cabine d’essayage pour coudre des petites fleurs à des endroits imperceptibles, comme les doublures. Puis, dans un deuxième temps, elle donne des conférences sur ce travail dans des lieux normés de l’art, ce qui offre une reconnaissance artistique à sa pratique ténue. Comment pouvez-vous expliquer l’articulation entre son geste et son discours ?
Les deux forment un tout : ils dépendent l’un de l’autre. L’artiste agit et crée dans un groupe social, l’idée de communication est inhérente. Il n’y a pas d’un côté le geste réalisé et de l’autre la parole et l’existence publique. L’artiste est amené à prendre la parole pour présenter son travail, proposer son projet, expliquer ce qu’il veut dire. C’est donc un tout. L’artiste est le premier médiateur de son travail. Et cela fait partie de son travail que de répondre aux questions, de fournir des indices. Certains ne vont rien dire, mais c’est aussi une position, une attitude. Souvent, le critique joue aussi ce rôle de diffusion et de réception.
Pensez-vous que le document ou ce qui peut se retrouver dans les lieux de l’art soit indispensable à la pratique furtive pour avoir une reconnaissance ?
Ce n’est pas indispensable. Nous pouvons imaginer un artiste qui ne documente rien.
Vous en connaissez ?
J’ai peut-être connu ou vu leurs œuvres sans le savoir ! Si tu agis mais que ton nom n’est pas connu, peu importe. Dans l’art, il y a une forme d’anarchie douce, non violente. L’artiste peut se faire artiste sans être muni d’une reconnaissance, d’un prestige.
L’artiste canadien Mathieu Beauséjour travaille depuis 1991 sur la notion d’argent. À l’aide d’un tampon créé par ses soins sur lequel est écrit « Survival Virus de Survie », il contamine les billets de banque qui lui passent entre les mains, pour les remettre ensuite en circulation. Mais ce geste signe l’arrêt de mort du billet : ce dernier est alors détruit par la banque, qui le considère comme trop abîmé. Pour chaque tampon posé, Beauséjour note les numéros de série du billet, qui lui serviront de matériau de base pour une partie de sa production. Quand vient le temps d’une exposition, il va exposer ces numéros de série, comme ce fut par exemple le cas au centre Copie-art, en 2000. Est-ce un paradoxe d’après vous ?
L’artiste Mathieu Beauséjour, bien que sa démarche comporte une forme d’iconoclasme, ne va pas à l’encontre de quelque chose, car la destruction des billets contremarqués n’est pas la finalité de son geste. Au contraire, c’est tout ce qui se passe autour et à partir du geste, de la conception du tampon à la circulation des billets estampillés, à la mise en exposition des numéros et du processus… Ce que j’y vois, c’est une œuvre qui s’envole, qui essaime, une image, une figure de rhétorique (l’argent comme virus), une forme de poésie, donc. Il a le désir d’instiller un doute, de détourner plus que de s’opposer frontalement. Il a des idées très politiques mais il sait que son art est incapable de renverser le système. Il n’est pas naïf, mais au contraire, très lucide. Il déjoue à travers ce travail le caractère univoque du système marchand en créant une signification parasite par l’estampille, ce qui n’empêche pas le billet de fonctionner, même s’ils sont retirés une fois en banque. L’idée d’augmenter le réel que l’on subit est une position plus subtile et plus modeste qu’une opposition ou contestation frontale.
Comment peut-on qualifier ce qui est présenté alors ?
C’est très intéressant. D’un coté, la dissipation, l’éphémérité, l’aléatoire des billets qui circulent et se perdent. De l’autre, la retranscription rigoureuse des numéros de série. Il conserve une trace et accumule, à tel point que le musée peut acheter ces traces-là. Il y a une forme d’abandon et de rétention.
C’est-à-dire ?
L’abandon n’est pas entièrement désintéressé. Ce serait naïf de penser qu’il ne s’agit ici que de la beauté du geste. Beauséjour est conscient que le geste trouve un intérêt pour une communauté du monde de l’art contemporain, qui a besoin de signes pour que son geste circule et soit connu. La rétention, à travers la notation des numéros, n’enlève en rien la beauté du geste, mais elle rend la chose plus subtile.
Si « être, c’est être vu », alors, quand l’art n’est pas vu comme tel (les utilisateurs des billets par exemple), existe-t-il en tant que tel (ou : quand même ?) ?
Oui, bien sûr ! Sinon cela discréditerait toutes les expériences intrigantes ! Les expériences naïves non-informées sont légitimes. Le but même de l’artiste, c’est d’aller stimuler les gens qui ne sont pas du monde de l’art, ou qui ne sont pas au courant du projet qu’il réalise. C’est donc aller contre sa démarche que de poser cette ségrégation. Il faut distinguer deux publics : le prévenu et le profane (le profane étant celui qui ne sait pas qu’il est en train de voir de l’art). Or, l’intensité de l’expérience est en un sens réservée au profane : c’est le public non prévenu qui ressent la surprise, qui ressent l’écart. Le critère est pour moi qu’il se passe quelque chose de cognitivement intéressant. Si oui, alors l’art a déjà atteint son but. On peut l’apprécier sans savoir que c’est de l’art. Cela fonctionne dans une dynamique du don. Mais le don implique un retour, étant une chaîne de transmission, de circulation. Il y a donc comme un paradoxe : le don nous apparaît parfaitement gratuit, mais il y a pourtant l’idée que le récepteur est appelé à rendre, pas nécessairement à la personne qui a donné d’ailleurs. L’artiste pose un geste et ne peut escompter une réponse, contrairement à la galerie qui est sûre que quelqu’un verra les œuvres exposées. L’art furtif, lui, ne sait pas qui va voir, s’il va voir, et encore moins si ça va l’intéresser.
Le don semble capable d’être irréductible aux relations d’intérêt économiques et de pouvoir. Dans notre société, le don est indispensable, il nous fait fonctionner ensemble : imaginez, si toute forme d’échange était systématiquement payante ! Peut-être en est-il de même pour le monde de l’art ?
C’est une part d’indétermination dans l’art. L’artiste investit une énergie de façon non complètement rationnelle.
Oui, qui n’est pas quantitative. Comment rendre le don que nous font les artistes aux pratiques furtives ? S’ils se mettaient à compter leurs heures de travail, cela paraîtrait absurde !
Et en même temps, on reconnaît un capital, un prestige. Parfois, les artistes vont aligner leur travail en fonction. Par exemple, Picasso – parce que c’est Picasso – va assembler une tête de guidon et une selle, et c’est formidable ! Parce que c’est Picasso.
Vraiment ? Vous pensez ?
Pas seulement. Ce que je veux dire, c’est que je ne serais pas certain que cette trouvaille aurait eu un tel succès venant d’un artiste moins connu, dans les années 30. Un prestige est lié à l’artiste. C’est comme un phénomène magique : tout ce qu’il fait est de l’art.
L’art fonctionnerait donc selon un système de croyance ?
L’art demande une adhésion, il faut entrer dans le jeu. On peut se demander à quoi ça sert, qui va voir ça, mais c’est un peu stérile. Entrer dans le jeu, c’est adhérer aux règles, les prendre au sérieux. Si tu te dis que c’est juste un jeu, que ce n’est pas pour de vrai, là c’est absurde. Il faut entrer dans le jeu. L’art est comme une histoire que l’on se raconte.
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