vendredi 27 novembre 2009

La photographie Aktionshose : Genitalpanik (Valie Export): qualité documentaire d'une oeuvre ou document fétichisé?




« Quand bien même l’image virtuelle viendrait dans l’avenir modifier notre rapport au “réel”, rappelons que le faux document n’a pas attendu la numérisation. Pendant la guerre du Golfe, c’est bien son allure documentaire qui a motivé le passage en boucle sur CNN de l’interview bouleversante d’une soi-disant réfugiée koweïtienne racontant les horreurs perpétrées par les soldats de Saddam Hussein. Un an après la “tempête du désert”, déclenchée par le président Bush, il apparut que l’émouvante réfugiée n’était autre que la fille de l’ambassadeur du Koweït aux États-Unis, jouant dans une mise en scène de dix millions de dollars financée par le gouvernement koweïtien avec la complicité de l’administration américaine ». (1)

Le terme document provient du latin documentum, « ce qui sert à instruire ». C’est un écrit servant de preuve, de renseignement, de témoignage. Or nous observons une réelle ambivalence attachée aux propriétés du document. Reportage, photo-journalisme (2), style documentaire(3), sont traités dans les ouvrages, mais quid de la fonction documentaire elle-même, de l’information qu’elle colporte ? En effet, «document» est une notion ambiguë et contradictoire. Ainsi, le style documentaire n’a pas pour autant une fonction documentaire, tandis que certaines œuvres d’art ont cette fonction de renseignement, de témoignage (comme lorsqu’elles illustrent aujourd’hui les ouvrages d’histoire), alors que nous pouvons considérer que toute œuvre constitue déjà un document pour l'histoire de l'art : nous pouvons en effet affirmer que toute œuvre d’art est un document, témoin de son époque. Comme l’affirme Jean-Marc Poinsot, « un musée d’art est l’archive de l’art dans la mesure même où il a conféré aux objets esthétiques du fait qu’il les conserve une dimension historique »(4). Les œuvres d’art peuvent ainsi devenir des objets au statut historique, s’inscrivant alors comme des témoins, des traces d’une histoire.

Cependant, alors que nous assistons à une recrudescence de la performance et à l’explosion de festivals qui lui sont dédiés ces dernières années, nous observons de même un réel intérêt pour les pratiques « performantielles » des années 1970 et leurs « substituts » généralement appelés « document », à défaut de terme plus adéquat. C’est en effet grâce à l’étude de ces derniers que peut s’écrire l’histoire de ces pratiques. Or, le chercheur, face à ces artefacts, ne peut les accueillir comme vérité et se doit de s’interroger sur le statut des sources à sa disposition.

Agathe Dupont, dans son mémoire destiné à analyser les traces des œuvres éphémères conservées au Centre Pompidou(5), explique quel est l’usage des documents qui découlent, précèdent, ou émanent des œuvres éphémères : « Référentiels par essence, [les documents] renvoient à quelque chose qui leur est extérieur, pour lequel ils ont une valeur de preuve, de témoignage ou d’information. Ils sont la "référence", "fragments ou qualité du réel présents là dans l’espace et le temps de la situation de mise en vue"(6). » Or peut-on de même reconnaître aux artefacts produits « autour » des actions une prétention documentaire, car « faisant référence » à l’action ? Ont-ils une réelle valeur de preuve ? Agathe Dupont statue : « Ces documents, nécessaires à la maturation, à la mémoire, et à la conservation de l’œuvre, ne sont pas l’œuvre elle-même, mais, en son absence, s’y substituent, de manière à la révéler au-delà de sa présence éphémère, telle un second degré d’elle-même »(7). En observant les objets aujourd’hui exposés dans les white cube et conservés dans les institutions, s’ils ne sont pas l’acte lui-même, peut-on pour autant affirmer qu’ils ne font pas œuvre à leur tour ? Pouvons-nous les circonscrire à des documents, ou de simples substituts de l’action qui n’ont d’autre fonction que de la révéler?


En 1966, Waltraud Höllinger, artiste autrichienne, adopte pour pseudonyme VALIE EXPORT. L’idée lui vient d’une marque de cigarettes, « smart export », à forte connotation machiste (c’était alors l’équivalent des Gauloises). Le choix de l’emblème est un référent symbolique évident, car la cigarette est alors un «attribut viril ». Dotée de ce nom, elle réalise alors des actions opposées au machisme dominant des actionnistes viennois. Ainsi, en 1968: Aktionshose: Genitalpanik (soit en français « action de pantalon : panique génitale » ). Cheveux ébouriffés et vêtue d’une chemise sombre, une gourmette brillante au poignet droit, des chaussures à talons et un pantalon découpé au niveau des parties génitales, elle parcoure lentement un cinéma qui diffuse un film pornographique. Montant sur la scène, devant l'écran de projection, elle propose aux hommes de disposer de son sexe, avant de marcher entre les rangs. «Genital Panic eut lieu dans un cinéma de Munich qui montrait des films porno. [...] Entre les films, j’ai dit aux spectateurs qu’ils étaient venus dans cette salle particulière pour y voir des films sexuels, qu’ils avaient maintenant à leur disposition de vrais organes génitaux, et qu’ils pouvaient leur faire tout ce qu’ils voulaient. J’ai parcouru lentement chaque rangée, en faisant face aux gens. Je ne me déplaçais pas de manière érotique. […] À mesure que j’allais d’une rangée à l’autre, chacun se levait en silence et quittait la salle. Hors du contexte filmique, c’était pour eux une façon totalement différente d’être en contact avec ce symbole érotique particulier »(8). Ainsi, en exposant son sexe à la vue des autres, elle opposait le réel à la représentation des films projetés dans ce cinéma et dans lequel l’image de la femme était passive et soumise.

Aujourd’hui, nous avons connaissance de cette « performance » (9)sous forme d’une photographie noir et blanc. L’institut d’art contemporain de Villeurbanne (ou le FRAC Rhône Alpes) possède le neuvième tirage (sur dix) de la photographie éponyme, noir et blanc, réalisée suite à l’action Aktionshose : Genitalpanik de VALIE EXPORT (10). L’artiste nous fait face, assise, les jambes écartées dévoilant son sexe par le triangle découpé dans son pantalon, le regard menaçant sous une perruque de cheveux ébouriffés, une carabine à la main. Peut-on qualifier cette photographie de document ?

La question du rapport avec la « réalité » (qui serait ici l’action passée) et donc de la capacité de cette image à servir de document, se pose avec une acuité plus nette dans le cas de la photographie analogique. En effet, ainsi que le note Philippe Dubois : « Il y a une sorte de consensus de principe qui veut que le véritable document photographique rende compte fidèlement du monde. Une crédibilité, un poids de réel tout à fait singulier lui a été attribué »(11). Ce caractère de vérité absolue, de preuve indubitable, est lisible aussi lorsque l’ancien surréaliste Philippe Soupault, en 1931, explique comment la photographie fut d’abord méprisée, négligée et calomniée, avant de connaître une vogue dans les années 1920, et de devenir une pratique artistique. Pour lui, « ce qu’il convient de souligner avec le plus de force, c’est que la photographie est avant tout un document et qu’on doit d’abord la considérer comme telle »(12).
Cette qualité documentaire semble reposer principalement sur la conscience que l’on a du processus mécanique de production de l’image photographique. En effet, le terme de « photographie » vient du grec phôs ou phôtos signifiant « lumière », et de graphein signifiant « tracer ». La photographie argentique est obtenue par un processus photochimique comprenant l'exposition d'une pellicule sensible à la lumière, puis son développement et, éventuellement, son tirage sur papier. C’est ainsi que l’objet pris en photographie semble toujours avoir été réel, puisqu’il a imprimé son image sur la pellicule.
De même, selon Roland Barthes, l’ordre fondateur de la photographie est la «Référence » : la photographie ne peut exister sans un référent, chose nécessairement réelle qui a été placée devant l’objectif. C’est ainsi que « le nom du noème de la Photographie sera donc : "ça a été" »(13). Le « ça a été » rassemble la double position conjointe nécessaire à la photographie : la réalité de l’objet et son existence dans le passé. Le procédé technique de la photographie, qui fait d’elle une empreinte de la réalité, permet d’affirmer que cette dernière « n’est pas une copie du réel mais une émanation du réel passé »(14). Bien que ce ne soit pas une empreinte directe au sens où elle ne touche pas directement la réalité, comme on peut le faire lorsque nous laissons une empreinte de nos doigts sur une vitre, grâce à ses procédés chimiques et à l’action de la lumière, l’appareil photographique imprime une image de la réalité sur le papier photosensible. Ainsi, selon Barthes toujours, la photographie fait office de preuve, puisqu’en affirmant ce qui a été, elle ratifie ce qu’elle représente. Pourtant, la photographie peut-être retouchée, mais, comme le précise Bernard Stiegler : « Qu’une manipulation de cette photographie soit ensuite possible, qui altère ce qui a été, voilà un autre attribut, mais il n’est qu’accidentel, il n’est pas nécessairement co-impliqué par la photographie. Cela peut arriver, mais ce n’est pas la règle. La règle, c’est que toute photographie analogique suppose que ce qui a été pris (en photo) a été (réel)»(15).
Ainsi, si nous allons dans ce sens, l’utilisation de la photographie argentique par les artistes de l’action permettrait alors d’imprimer l’image de leur corps en action, afin de l’enregistrer, faisant ainsi office de preuve, de « ça a été ». Nous reconnaissons alors une valeur documentaire attachée à la photographie (comme objet), qui présuppose une connaissance implicite des caractéristiques techniques de la photographie (entendue comme un processus).

Cependant, et Barthes le souligne très bien, la photographie n’est pas une copie du réel, mais une émanation du réel. Or, cette émanation ne semble pas suffire pour faire office de preuve, le « ça » du « ça a été » ne pouvant se réduire à ce que nous voyons sur la photographie.
La photographie présente de nombreuses failles, l’éloignant de l’idéal de mimésis du réel. La prise de vue d’ Aktionshose : Genitalpanik est parfaitement frontale, permettant à l’acte, vu sous cet angle, de prendre toute sa valeur, violente, directe. Tout est focalisé sur le sexe exhibé et l’arme tenue fermement par l’artiste. Pourtant que nous dit cette image du contexte, de l’instant, de la temporalité, du hic et nunc de l’action ? En effet, l’image est déterminée par l’angle de vue choisi (l’opérateur, que ce soit l’artiste ou un tiers, décide de ce qu’il souhaite donner à voir ; il peut cacher certains aspects, en accentuer d’autres), sa distance à l’objet et la façon de cadrer. De plus, elle réduit la tridimensionnalité de l’objet à une bidimensionnalité, et tout le spectre des couleurs à celles qui seront tirées ou imprimées. Enfin, elle isole un point précis de l’espace-temps, sous son aspect strictement visuel (16). Ainsi, la photographie ne recueille et ne retransmet pas le réel, mais un enregistrement de ce réel ; il y a donc une fracture essentielle entre l’action et sa restitution. Cette fracture qu’opère l’enregistrement photographique tient au fait qu’il représente avant tout une réalité vivante : le corps de l’artiste en mouvement, sa présence contextualisée, un ensemble de flux dans lequel prend vie l’action. La photographie est alors ce « qui devient cet événement qui fait rupture entre le réel et la représentation »(17). Ce qui est retransmis n’est pas l’acte, mais une représentation de l’acte. Dominique Baqué, à propos de la photographie, affirme : «Ne reste que l’inscription d’une violence ou d’une jouissance : jamais la violence ou la jouissance comme telles, en elles-mêmes. »(18) La présence réelle en trois dimensions dans un espace est fondamentalement différente de sa transformation en données reproductibles, de son enregistrement.

De fait, l’ontologie de la photographie ne saurait résider dans l’effet de mimésis. « La photographie, de par sa genèse automatique, témoigne irréductiblement de l’existence du référent mais cela n’implique pas a priori qu’elle lui ressemble. Le poids de réel qui la caractérise vient de ce qu’elle est une trace, non de ce qu’elle est mimésis. »(19) Il « suffit » d’observer la technique et ses effets perceptifs pour déconstruire l’idée de réalisme photographique. Difficile alors de parler de preuve.

Si VALIE EXPORT photographiait ses actions des années 1970, c’était afin d’en garder la trace, l’archive. L’enregistrement fut, en premier lieu, pour ces pratiques de mise en acte du geste de l’artiste, un simple moyen documentaire d’enregistrement, de reproduction, d’archivage, d’exposition du travail, lui-même singulier, éphémère, unique dans l’espace et le temps. Jean-Claude Moineau insiste : « Dans un premier temps, cela a été une façon de remémorer des événements artistiques qui avaient été présents et visibles à un moment déterminé ; les documents “actualisaient” un événement artistique du passé. »(20)Cependant, les artefacts, résultats d’une activité située dans un autre espace-temps que celui de l’action, posent la question de l’intentionnalité. Le document est en effet souvent considéré comme n’étant pas un objet créé dans l’intention de faire document. C’est ainsi qu’Erwin Goffman, analysant les transformations de cadres sociaux, oppose le document à la réitération, dont la tentative de se donner en spectacle est forte. Au contraire, « un document permet de conserver les traces de ce qui s’est produit dans le monde réel en dehors de toute intention de laisser des traces pour un document ultérieur. Écrits, photographies, pièces à convictions […] »(21). Ainsi, si la photographie produite par l’artiste « autour » de son action permet effectivement de conserver la trace de ce qui s’est passé, ce n’est certainement pas « en dehors de toute intention de laisser des traces », mais bien au contraire, dans ce but. VALIE EXPORT réalise en effet un tirage au gélatino-bromure d'argent sur papier Agfa Baryt, mesurant 165 x 120 cm, la contrecolle sur aluminium, signe, titre et date au feutre vert, au revers, en bas, à droite : « Valie Export / Aktionshoses : Genitalpanik 1969 / AP 6 1969/2001 ». Cet artefact permet ainsi de retransmettre une action à travers un objet construit. La photo n’est pas qu’une image, mais aussi un objet, une réalité physique, qui comprend sa mise en vue(22).

Ainsi, peut-on créer un document ? Si le document acquiert son statut a posteriori, lorsqu’il a une valeur d’usage, c'est-à-dire lorsqu’il sert de preuve ou de témoignage, qu’il est utile, peut-on le produire délibérément ?

Rausalind Krauss propose une lecture de la question d’intention appliquée à l’œuvre: « L’œuvre d’art finie est le résultat d’un processus de formation, de fabrication, de création. […] L’œuvre d’art est donc l’index qui a ses racines dans l’intention de faire œuvre. L’intention est ici comprise comme une sorte d’événement mental préexistant, inaccessible à la vision, mais dont l’œuvre témoigne après coup »(23). Or n’est-ce pas le cas des « documents » créés par le artistes ? Peut-on omettre « l’événement mental préexistant »(24)à leur création ? Dans la préface à la réédition de la revue Documents(25), Denis Hollier analyse le contexte et les enjeux qui ont marqué la parution en 1929 de cette revue à visée majoritairement ethnologique. Il affirme ainsi que le document doit être inesthétique (26), mais, ce qui nous intéresse en particulier, qu’ « il restitue le réel en fac-similé, non métaphorisé, non assimilé, non idéalisé. Un document autrement dit, ne s’invente pas. Il se distingue des produits de l’imagination précisément parce qu’il n’est pas endogène »(27). Ainsi, s’il y a intention préexistante à sa création, si l’artefact est créé de toute pièce par l’artiste, ou est pur produit de son imagination, peut-on encore parler de document ?

D’autre part, et comme nous l’a confirmé Jeanne Rivoire, chargée des collections de l’institut conservant cette photo, le tirage a été réalisé en 2001, alors que la photo fut prise en 1969 ; Artiste internationalement reconnue dans les années 2000, VALIE EXPORT développe alors ses négatifs anciens afin, apparemment, de répondre à la demande du collectionneur et de l’institution. La photographie Aktionshose : Genitalpanik se trouve conservée comme œuvre d’art à part entière par l’institut d’art contemporain. La photo a acquis aujourd’hui une valeur artistique. De grand format, en deux dimensions, facilement exploitable pour une exposition faisant appel à des cimaises, cette photographie tirée des années après l’action, fut réalisée suite à la popularité grandissante de l’artiste et donc à la demande du monde de l’art. Cette situation semble appliquer à la lettre la crainte de Jean-Claude Moineau : « la documentation sur la "performance" ou sur le "travail" (…), dans les espaces institutionnels de l’art, a rapidement tenu lieu d’œuvre (…).» (28) Nombre d’artistes donnèrent à connaître leurs pratiques à travers des « documents », ces derniers devenant par la suite l'objet de fétichisme pour acquérir, par l’effet de la marchandisation, le statut d’œuvre, ce qui est le cas d’Aktionshose : Genitalpanik. Or cette fétichisation du « document » n’est pas le seul fait de l’artiste, mais le résultat de processus historiques, culturels, politiques et économiques(29).


Enfin, si l’acte a eu lieu en 1968, il apparaît que la photographie Aktionshose: Genitalpanik a été prise en 1969, soit un an après l’action, pour une série d’affiches commémorant l’événement. L’action, elle, n’a pas été documentée lorsqu’elle eut lieu dans le cinéma. Cette photographie mena à des confusions, car il s’avère que l’artiste ne possédait pas d’arme lors de l’action, au contraire de ce que montre la photographie prise a posteriori. De là s’ensuit des contradictions : « ces détails sont récusés par l’artiste, qui n’a pu corriger les termes de l’entretien avec R. Askey(30): le cinéma n’était pas porno, elle n’avait de fusil que sur la photo. La citation qu’on lui prête est donc en partie fausse. Mais c’est ainsi que se forgent les mythes»(31). La photographie ne serait donc en rien la représentation fidèle de l’action : au contraire, elle entretiendrait un mythe.

Nous faisons alors face à une réelle difficulté quant au désir de statuer de façon générale pour ce type de travaux : documents (dont le terme semble devoir être redéfini) ou œuvres d’art (telles que conservée aujourd’hui) ? La question du statut, par rapport à ce qu’est une œuvre d’art au sens traditionnel du terme, est aujourd’hui dérogatoire, et l’opposition binaire document/œuvre trop réductrice pour être véritablement intéressante. Cependant, au-delà du geste, l’artiste a créé un artefact qui continue d'exister comme une entité. L’action ouvre alors « une série de temps et d’espaces où ce qui s’est joué n’en finit pas d’arriver. Ce qui apparaît en elle de plus immédiat, de plus élémentaire, de plus modal, se révèle en fait décalé, médiatisé, pluriel, entropique »(32). La photographie Aktionshose: Genitalpanik semble acquérir une temporalité qui lui est propre, construisant son histoire, indépendamment de l’action.

Si nous avons ainsi souhaité développer l’exemple qu’est la photographie au travers d’Aktionshose : Genitalpanik, c’est afin d’expliciter la singularité du régime de preuve, attaché au document. Or l’exemple paradigmatique du rapport avec la réalité qu’est la photographie, et ici l’exemple de VALIE EXPORT exhibant son sexe armée d’une carabine, nous montre à lui seul l’importance d’une vigilance exacerbée lors de l’étude de ces artefacts «autour» de l’action. Face à leur capacité à refléter la « vérité », à leur attachement à priori indéfectible au « réel » (si tant est que l’action soit ce réel), une attention particulière est à accorder à ces objets, doublée d’une acceptation de l’extrême complexité de leur statut et, par lien de cause à effet, de leur aptitude éventuelle à être document, à informer sur le « ça a été ».


NOTES
(1)COLLEYN Jean-Paul, « Petites remarques sur les moments documentaires d’un grand pays », Le parti pris du document, littérature, photographie, cinéma et architecture au XXème siècle, Paris : École des hautes études en sciences sociales – centre d’études transdisciplinaires (sociologie, anthropologie, histoire), «Communications», Seuil, 2001, p.239.
(2)Pour plus de détails sur cette notion, se référer à CHEVRIER Jean-François, ROUSSIN Philippe, Le parti pris du document, littérature, photographie, cinéma et architecture au XXème siècle, École des Hautes Études en Sciences Sociales – Centre d’études transdisciplinaires (sociologie, anthropologie, histoire), Paris : Seuil, 2001.
(3)Pour plus de détails sur cette notion, se référer à LUGON Olivier, Le style documentaire. D’August Sander à Walker Evans, 1920-1945, Paris : Macula, 2002.
(4)POINSOT Jean-Marc, Quand l’œuvre a lieu, L’art exposé et ses récits autorisés, Villeurbanne : Art Edition et Musée d’art Moderne et Contemporain de Genève, 1999, p.20.
(5)DUPONT Agathe, Les créations éphémères ou immatérielles et leurs traces, des années 1960 à nos jours, dans les collections du Centre Pompidou- Musée National d’art moderne : situation paradoxale de l’artiste par rapport à sa création, Mémoire de recherche appliquée 2années de second cycle de l’Ecole du Louvre, Sous la direction de Didier Schulmann, 2004-2005
(6)DUPONT, op. cit., p. 34, cite POINSOT Jean-Marc, « L’in situ et les circonstances de sa mise en vue », Les Cahiers du Mnam, 1989, p. 67.
(7)DUPONT, op. cit., p. 36.
(8)VALIE EXPORT, citée dans l’interview avec R. Askey (R. Askey « Ein Interview mit Valie Export, Hught performance », vol. 4 n°1, Frühjahr, 1981, p. 80), dans Valie export, Paris : Centre National de la Photographie, 2003, p. 36.
(9)Nous mettons ce terme entre guillemets car, pour Stephen Wright, la performance a un statut ontologique stable : les performeurs sont des candidats à la reconnaissance artistique, ils souhaitent êtres visibles comme tel, et exécutent alors leurs actions dans un cadre normatif de l’art. Stephen Wright affirme alors qu’en pratiquant une configuration symbolique en dehors d’un cadre qui l’active comme proposition artistique, le statut ontologique du travail diffère de celui de la performance. En effet, pour reprendre Berckley, si « esse est percipi » (être, c’est être perçu), c’est aussi être perçu comme tel. « Car, en fin de compte, sans l’adhésion du public, au caractère artistique de la proposition, validant ainsi sa prétention à la reconnaissance (“ceci est de l’art”) par une suspension volontaire de l’incrédulité, l’art ne peut avoir lieu. » (WRIGHT Stephen, « Lieux de poursuivre ? Réflexions sur le Criticable Art ensemble et l’affaire Kurtz », dans BABIN Sylvette, Lieux et non-lieux de l’art actuel, Montréal : Édition Esse, 2005, p. 88.) C’est seulement a posteriori, grâce à d’autres mediums, que l’action est perçue comme étant artistique.
(10)Aktionshose : Genitalpanik, 1969, 9/10, Institut d'art contemporain, Collection Rhône-Alpes, Inv. : 2004.014.
(11)DUBOIS Philippe, L’acte photographique et autres essais, Editions du Labor, Bruxelles, 1983, rééd. Nathan, coll. Nathan-université, Paris, 1990.
(12)SOUPAULT Philippe, Arts et métiers graphiques, 1931, cité dans CHEVRIER, ROUSSIN, op. cit., p. 9.
(13)BARTHES Roland, La Chambre Claire : note sur la photographie, Paris : Coll. « Cahiers du cinéma Gallimard » dir. par Jean Narboni Éditions de l’Etoile / Gallimard / Le Seuil, 1980.., p. 121.
(14)BARTHES, op. cit., p.138.
(15)STIEGLER Bernard, « L’image discrète » dans DERRIDA Jacques, STIEGLER Bernard, Échographie de la télévision, entretiens filmés, Paris : Galilée-INA, coll. « Débats », 1996, p.168.
(16)Cf. DUBOIS Philippe, L’acte photographique et autres essais, Bruxelles : Éditions du Labor, 1983, Paris : coll. « Nathan-université », rééd. Nathan, 1990. (17)PERONI Michel, ROUX Jacques, Le travail photographié, Saint-Étienne : CNRS Éditions, Université de Saint-Étienne, 1996, p. 209.
(18)BAQUÉ Dominique, La photographie plasticienne, un art paradoxal, Paris : Éditions du Regard, 1998, p. 18.
(19)DUBOIS, op. cit., p. 30. Enfin, si, selon Barthes, la photographie possède une inscription référentielle indispensable, nécessaire, c’était sans compter la photo numérique, dont Barthes n’a pu faire allusion dans son ouvrage puisque cette dernière est apparue en 1981. La photographie numérique recouvre l'ensemble des techniques permettant l'obtention d'une photographie par le biais de l'utilisation d’un capteur électronique comme surface photosensible. La photographie numérique engendre un type de « représentation » par scanning, synthèse, et codage numérique. Stiegler souligne que le mode de conception de l’image numérique engendre un régime temporel paradoxal, puisque l’image ne peut plus prétendre au statut du « ça a été », bien qu’elle puisse en proposer les apparences. « La virtualité du probable, du possible et du contingent constitue le régime paradoxal de la photographie numérique. » (STIEGLER, op. cit., p.169) La photographie n’est donc pas déterminée par sa mimésis mais par son référent irrévocable, jusqu’à ce que le numérique vienne bouleverser la donne. « Dès lors, la valeur de miroir, de document exact, de ressemblance infaillible reconnue à la photographie se trouve remise en cause. La photographie cesse d’apparaître comme transparente, innocente, réaliste par essence. Elle n’est plus le véhicule incontestable d’une vérité empirique. » (STIEGLER, op. cit., p.169) Sa validité documentaire semble d’autant plus fortement remise en question.
(20)MOINEAU Jean-Claude, MOINEAU Jean-Claude, Contre l’art global, pour un art sans identité, Paris : Ère Éditions, 2007, p. 40.
(21)GOFFMAN Erving, Les cadres de l’expérience, Paris : Les Éditions de Minuit, Coll. « Le sens commun », 1991, p. 79.
(22)POINSOT, POINSOT Jean-Marc, L’atelier sans mur, textes de 1978-1990, Villeurbanne : Art Éditions, 1991.En effet, pourquoi enregistrer un acte par exemple, si ce n’est pour le dévoiler à travers celui-ci ? L’action, comme l’enregistrement, sont des travaux qui ont intégrés les composants de l’exposition et de la réception par le spectateur.
(23)KRAUSS Rosalind, (traduction Jean-Pierre Criqui) « Sens et sensibilité, Réflexions sur la sculpture de la fin des années soixante », L’originalité de l’avant-garde et autres mythes modernistes, Paris : Édition Macula, 1993, p. 38-39.
(24)Ibid., p. 39.
(25)HOLLIER Denis, « La valeur d'usage de l'impossible », introduction à la réédition de Documents. Doctrines, archéologie, Beaux-arts, ethnographie. Vol. 1 Année 1929, Paris : Éditions Jean-Michel Place, 1991.
(26)Par ailleurs, le document devrait être parfaitement dénué de toute valeur esthétique. « Documents a pour plate forme une opposition au point de vue esthétique. Cette opposition est impliquée dans le titre lui-même ». Et Denis Hollier ajoute alors : « un document est, dans sa définition même, un objet dénué de valeur artistique. Dénué de ou dépouillé de, selon qu’il en a ou jamais eu. Mais c’est de deux choses l’une : on a soit affaire à des documents ethnologiques soit à des œuvres d’art. Cette opposition binaire (qui donne au terme de document, même employé isolement, ses connotations anti esthétique) n’est pas une audace lexicale » (« La valeur d'usage de l'impossible », introduction à la réédition de Documents. Doctrines, archéologie, Beaux-arts, ethnographie. Vol. 1 Année 1929, Paris : Éditions Jean-Michel Place, 1991, p. 8)
(27)HOLLIER, op. cit., p. 20.
(28)MOINEAU Jean-Claude, Contre l’art global, pour un art sans identité, Ère éditions, Paris, 2007, p. 123.
(29)« Si les valeurs artistiques se constituent à la jonction entre valeur artistique et valeur financière, alors des processus historiques, culturels, politiques et économiques, construisent et définissent la notion d'œuvre d'art ; elle ne se définit pas seulement par l'action des artistes. » Se rapporter sur ce point à TAPIA Mabel, La Joconde est dans les escaliers* ou....La production artistique contemporaine entre légitimation, valorisation et visibilité. Une réflexion à partir du travail de Tino Sehgal. Université Paris VIII Vincennes – Saint Denis, U.F.R. Arts, Philosophie et Esthétique. Département Arts Plastiques, Directeur de mémoire : Roberto Barbanti Master 2 – Arts Spécialité : Théorie et pratique de l’art contemporain et des nouveaux médias, 2008, p. 40.
(30)« Ein Interview mit Valie Export”, Hught performance, vol. 4 n°1, Frühjahr, 1981, p. 80, cité dans Valie export, cat. exp. Centre National de la Photographie, Paris : Editions de l’œil, 2003, p. 36.
(31)MICHEL Régis, « Je suis une femme, Trois essais sur la parodie de la sexualité», dans Valie export, op cit., p.36.
(32) ZERBIB David « De la performance aux "performantiel" », Art press2 Performances contemporaines, 2007, n°7, p. 11.

1 commentaire:

  1. Voilà un article intéressant, bien écrit et bien documenté avec lequel je suis entièrement d'accord. C'est agréable.

    RépondreSupprimer