
Albertine Meunier
Caroline Delieutraz
Article paru dans Area revue)s( n°19 Féminin Pluriel
Née en 1964, Albertine Meunier, de son vrai nom Catherine Ramus, est scientifique de formation. Elle a commencé à travailler sur Internet en 1998. En 2003, elle rencontre Caroline Delieutraz à l’Université Paris 8, au département d’Arts plastiques, spécialité théorie et pratique de l'art contemporain et des nouveaux média. Une génération les sépare, mais elles se retrouvent sur la toile, réalisant des projets ensemble depuis 2006. Comment envisagent-elles leur travail sur Internet ? Qu’est-ce qui les rapproche ? Entretien croisé.
Je commence par la question la plus naïve ; qu’est ce qui vous a poussé à travailler sur ce medium ?
Caroline Delieutraz : Pour ma part, la découverte, l’apprentissage et la mise en place d’un travail sur et avec Internet se sont faits petit à petit, à partir de 2002, principalement à travers des rencontres, notamment avec Annie Abrahams , qui fut ma professeure à Montpellier, mais aussi avec Catherine Ramus (Albertine Meunier) bien sûr. Et toi Catherine?
Albertine Meunier : En 1998 à peu près, Internet m’a ouvert la porte, qui m’était sûrement fermée, ou, du moins, que je ne savais pas comment ouvrir, du domaine artistique. Dès les débuts d’Internet j’ai essayé de fabriquer avec, de construire des pages. Je faisais des collages, et mon premier geste a été de les transposer sur Internet. C’est ainsi que mes collages statiques sont devenus animés et sonores. J’ai bricolé comme ça pendant pas mal d’années. Puis Internet est devenu pour moi une matière en tant que telle, que j’ai appris à connaître et à manipuler, j’ai essayé de la comprendre. C’est comme ça que j’ai commencé à travailler avec Google .
En quoi consistait ton premier travail sur Google, Albertine ?
AM : J’ai fait un travail en 2003 qui s’appelle le Counter Googling. J’avais lu un article sur un phénomène naissant : les gens se servaient de Google pour obtenir des renseignements sur d’autres gens. L’idée du Counter Googling était de réaliser un site Internet comportant des autoportraits, vrais ou fictifs, qui apparaissaient en premier dans les résultats lorsque quelqu’un « googlait » une des personnes dont l’autoportrait était sur le site. Ce travail permettait notamment de mettre à jour une pratique nouvelle, il questionnait aussi l’importance de l’image de soi sur Internet.
Dans un projet plus récent, quand je me suis aperçue que Google stockait toutes les recherches que j’effectuais, j’ai eu un choc, comme dans une relation à un individu. Comment pouvait-il savoir cela de moi ? Le projet My Google search history consiste à republier toutes ses recherches, à se les réapproprier. Je reprends en quelques sortes possession de quelque chose qui ne m’appartient plus.
CD : Il y a une chose qui me semble être un aspect important du travail, il s’agit de l’autonomie que cela apporte à la fois au niveau technique, financier aussi bien qu’en ce qui concerne la diffusion.
AM : C’est un support qui rend vraiment autonome. Et puis il y a une mise en relation permanente qui est essentielle. Je me rappelle quand j’ai commencé j’avais un petit bureau sur tréteaux, un tout petit ordinateur. Je faisais un projet totalement schizophrène que j’avais adoré, qui s’intitulait Le voyage immobile. C’était avant l’époque des blogs , et je travaillais avec une autre personne. On a simulé un voyage en faisant des échanges par mails, pendant six mois. Elle était censée faire un voyage en Russie, et moi, je l’accompagnais. Pour obtenir les renseignements dont nous avions besoin pour la progression du voyage, nous avons pris contact très facilement avec de nombreuses personnes par mails.
CD : Ce choix de l’autonomie, c’est presque un engagement politique en soi.
AM : Oui, car c’est aussi la prise de possession d’un territoire ainsi qu’une prise de parole sans intermédiaire.
CD : La place de « l’autre » change aussi totalement. J’entends à la fois de « l’autre » en tant que spectateur, mais aussi l’autre comme collaborateur, contributeur, participant ou artiste… On est peut-être moins seul que la plupart des artistes. J’ai réalisé une vidéo qui illustre cette idée. Au Creux de nos mains est une vidéo pour laquelle j’ai demandé aux personnes que je rencontrais au quotidien de m’apporter un petit objet auquel ils tenaient, ainsi je filmais l’ouverture de la main de la personne, l’objet en son creux, et la fermeture de la main. J’avais une petite caméra qui pouvait filmer à plus de 100 images par secondes. Il s’agissait de capturer des « micro-moments » dans le quotidien. Cette vidéo caractérise toute une partie de mon travail, consacré à des rencontres physiques ou virtuelles autour de protocole. Ces protocoles d’échange sont directement liés à Internet.
AM : Ce qui nous a réunis la première fois, c’est le projet Théorie M en 2006. Nous avons tagué sur les trottoirs de la ville de Paris des codes 2D. Un code 2D permet, depuis un téléphone mobile, d’accéder à un contenu numérique. Avec un décodeur installé sur son téléphone, le promeneur capture le code tagué au sol à l’aide de la caméra de son téléphone. Le téléphone se connecte ensuite à Internet ce qui permet à celui-ci d’accéder à une vidéo. En choisissant de travailler avec des codes 2D nous souhaitions notamment créer un lien entre l’espace public physique et le réseau Internet.
CD : La « Théorie M » est à l’origine le nom d’une théorie scientifique qui postule plusieurs dimensions, c’est pour cette raison que nous avions choisi ce titre. Les codes, vu de haut, traçaient un grand « M » dans Paris (sur Google Maps). Les vidéos liées aux codes étaient basées sur la réappropriation et la mise en parallèle de différents contenus pris sur Internet. Des passages de La guerre des mondes d’HG Wells lu à la radio par Orson Welles, du Metropolis de Fritz Lang, des images de catastrophes et des bribes de conférences sur la Théorie M formaient un mélange « postmoderne » où fictions, théorie scientifique et images d’actualité se côtoyaient sur un même plan. De plus, les codes introduisaient un signe mystérieux dans le paysage.
AM : La ville Maudite !
M le Maudit ! Et quel est votre prochain projet ?
CD : Il se nomme DCODD , nous l’avons amorcé il y a un an environ, bien qu’assez différent de Théorie M dans la démarche, il s’agit du même dispositif que pour Théorie M : des codes 2D taggués dans Paris et liés à des vidéos. Quand nous avons commencé à travailler avec les codes 2D pour Théorie M, nous nous sommes dit que ce dispositif méritait d’être expérimenté par d’autres artistes. C’est ainsi que nous avons pensé DCODD comme une plateforme de diffusion. Tous les deux mois, nous invitons un nouvel artiste à créer une playlist vidéo pour DCODD. Nous ne réalisons pas un travail de commissaire d’exposition car nous laissons carte blanche aux artistes. Mais ceux-ci doivent qu’en même respecter une démarche directrice, celle de ne pas aller dans le sens de « la ville augmentée » comme elle se profile aujourd’hui.
AM : Oui, c’est à dire faire le choix du dépaysement, de la perte, de l’étonnement plutôt que celui de l’ajout d’informations pratiques ou informatives (plans, documentations, notices, etc.).
CD : Il s’agit d’interpeler le passant dans une logique un peu surréaliste.
Pour réaliser ce projet, nous avons décidé d’agrandir notre équipe et de fonder un collectif. Avec Aude François, Julien Levesque et Jérôme Alexandre, nous souhaitions travailler à une plus grande échelle, même si notre collectif se nomme Microtruc !
CD : Nous avons d’ailleurs un wiki sur lequel nous réunissons des définitions du mot « microtruc » .
AM : Je reviens sur la plateforme de diffusion. Cela permet de délocaliser un espace physique : une galerie peut apparaître du trottoir. Il n’y a plus besoin d’un espace physique pour montrer certaines choses. Ainsi, les barrières s’effacent un peu et on peut faire en sorte que cela soit accessible à tous tout en restant dans la surprise, la poésie de l’étonnement, la perturbation d’un lieu, et ainsi créer une rencontre spéciale avec un texte, une image, une vidéo qui tombe comme un cheveu sur la soupe.
J’adore les perturbations que permettent le réseau. Perturber les grandes structures, je trouve ça drôle. Un artiste isolé va d’un coup perturber une donnée instituée. Dans mon travail, c’est ce que j’aime faire.
CD : C’est peut-être ce qui nous rassemble, un esprit un peu perturbateur.
AM : Tout dernièrement, j’ai fait une pièce qui s’appelle Stweet avec Jérôme Alexandre. Nous avons mixé Google Street View et Twitter . En effet, dans Twitter, il est possible de préciser sa géolocalisation. Je peux dire : « j’ai mangé des frites », puis me géolocaliser, rue de Hauteville, par exemple. Ainsi, apparaitra sur Stweet : la vue de la rue où je me trouve (tirée de Google Street View) ainsi que mon « tweet » : « j’ai mangé des frites ». Je m’amuse aussi à faire des cartes postales à partir de captures d’écran de ce que racontent les gens. Ensuite j’envoie ces cartes à Google ou Twitter par la poste. Ça me tord de rire de déranger en m’insinuant dans un chemin déjà tout tracé.
CD : C’est très modeste. Une très légère insinuation. Et quand tu dis « ça me tord de rire », ça montre bien notre démarche. Il s’agit avant tout de s’amuser. On perturbe notre propre quotidien. On veut se surprendre soi-même.
AM : Retraduire une compréhension du réseau en montrant les choses différemment. C’est un media qui est à comprendre.
CD : Quand j’ai commencé à travailler avec Internet, il me semblait que la question récurrente était celle du vrai et du faux. Un de mes premiers travaux sur Internet portait sur cette question : j’ai imaginé la Spasmidea , une nouvelle maladie mortelle fictive. En reprenant les codes des sites scientifiques du CNRS de l’époque, qui étaient des sites très austères, j’avais créé un site entier sur cette maladie à l’aide d’un ami biochimiste. En utilisant des termes scientifiques incompréhensibles pour des novices, nous avions inventé : modes de contamination, symptômes, équipe de chercheurs etc.. La question pour nous était : Pouvions-nous, en reprenant simplement les codes d’un site scientifique, créer une maladie vraisemblable ? Aujourd’hui, il me semble que cette problématique à amené les internautes à vérifier les sources des informations qu’ils trouvent sur Internet. Mais qu’il s’agisse d’informations provenant du web, de la télévision ou de la presse grands tirages, n’est-ce pas une démarche à généraliser ?
AM : Cette question du vrai et du faux est encore très présente, elle est aussi liée aux personnes : ce qui est écrit sur tel ou tel personne est-il vrai ? Celui qui maitrise l’outil peut affirmer des choses, et collégialement faire monter la sauce.
On n’a pas l’impression qu’il y a quelqu’un derrière un site Internet. Ça paraît complètement abstrait.
AM : Si les œuvres des net artistes étaient un peu plus montrées, diffusées et expliquées, cela pourrait éclairer les gens sur tout un tas de choses. Cela pourrait être une manière d’expliquer toutes ces choses un peu diffuses et impalpables, ces fonctionnements sur Internet qui sont en train de ce mettre en place. Par exemple, savoir distinguer le vrai du faux sur Internet ; pourquoi ne pas présenter la Spamidea à des jeunes lycéens pour leur montrer comment distinguer un vrai d’un faux site ? Il y a tout un tas de codes. Je pense que les créations sur Internet sont annonciatrices ou révélatrices de questions qui sont soulevées.
Est-ce que l’on peut dire alors que vous travaillez des formes ? Peut-être est-ce plutôt des configurations symboliques ?
CD : Les deux. Il y a d’autres motifs qui apparaissent avec Internet. Je pense à une esthétique de la dissémination, de la contribution, et aussi de la « micro-résistance ». Et pour moi, ce sont des formes. Ou du moins des esthétiques, qui véhiculent différents motifs.
AM : Pour moi, il y a des choses qui font vraiment matière. Plus je travaille dans le réseau, plus je trouve qu’il y a une forme de poésie en souterrain. Toutes ces contributions de gens, ces flux humains, il y a une espèce de poésie ambiante, mais qui est un peu masquée dans cette masse d’informations. Twitter, Facebook et les profils, je trouve ça d’une poésie terrible. Il y a toujours un petit truc qui va jaillir et auquel tu ne t’attendais pas. Quelqu’un va dire quelque chose qui va t’emmener ailleurs. Le flux pour moi est essentiel.
C’est là que cela diffère complètement de tout ce que l’on a connu dans le domaine des arts plastiques, non ? C’est incroyable de parler de flux comme cela, ils deviennent matière finalement.
AM : Oui, pour moi c’est une matière. Le flux numérique tel que je le ressens est incessant, comme un empilement. Il y a quelque chose qui s’est matérialisé. C’est consistant, épais. C’est moins un mécanisme d’informations. Avant il s’agissait plutôt de relations directives de un à un. Maintenant, il s’agit d’un maillage, comme un tissu, on pourrait presque marcher dessus.
Caroline, tu as choisi de te créer un personnage masculin sur internet.
CD : Oui, il se nomme Edward Didenhoven, il est à la retraite. Je l’ai créé parce que je me posais la question de la représentation des femmes artistes sur Internet. Et je me demandais quel était le regard des spectateurs quand il voyait le travail d’une femme sur Internet, et notamment d’une jeune femme. Pour questionner ça, j’ai imaginé un homme d’une cinquantaine d’années, et de nationalité différente (il est luxembourgeois). Mais ça a été une expérience essentiellement pour moi-même. Je voulais voir aussi, si je me mettais dans la peau de cet homme là, si je ferais des choses différentes.
Et tu as créé des choses différentes ?
CD : Oui en quelque sorte, je lui ai créé des hobbies, et peut être une façon de travailler. Il est devenu collectionneur. Il a une collection de photographie de sacs ED . Ce sont les initiales d’Edward Didenhoven, mais aussi le diminutif d’Edward. Il a aussi un blog de photographies .
AM : C’est du boulot d’être quelqu’un d’autre.
Et Albertine, est-ce que c’est quelqu’un d’autre par rapport à Catherine ?
AM : Non, ce n’est pas la même question. C’était plus une nécessité. Je ne pouvais pas être Catherine Ramus sur Internet, mais je ne cherchais pas non plus à cacher ma véritable identité. Avoir une double identité me permet de mener une double activité.
CD : Alors que pour moi il s’agit plutôt de brouiller les pistes identitaires, de ton côté, c’est plutôt pour séparer.
AM : Oui c’est tout à fait ça. Au départ, Albertine Meunier était vieille. J’aimais bien cette idée que les gens croient qu’elle est vieille.
CD : En général les gens sur les plateformes communautaires comme Facebook se mettent en valeur, c’est drôle de voir un profil de vielle dame, ça crée un décalage.
AM : J’aime bien le prénom Albertine, ça a un côté désuet dans ce monde hypermoderne. J’aime ce décalage.
Ça rappelle ton projet Tea time with Albertine , dans lequel tu diriges un atelier Internet avec quatre femmes de plus de 77 ans.
AM : Oui, peut être que le lien est là. Tea time with Albertine symbolise ce que je pense d’Internet. Quand je fais Tea time with Albertine avec les quatre mamies à la Cantine , je ressens une sorte de jubilation d’être dans le décalage total. Montrer que quelqu’un qui a plus de 77 ans peut « chatter » mieux que quelqu’un qui en a 15, c’est le top de ce que l’on peut montrer avec Internet. C’est aussi lié à tout ce que je trimballe avec Internet, Internet m’a amené toute une richesse, cela m’a permis de développer de nombreuses choses, à la fois professionnelles et personnelles. C’est un monde très immédiat, à la portée de tous. Avec Tea time, il y a presque quelque chose d’immortel, et je suis heureuse de montrer comment, même très vieux, on a envie de continuer. Je cherche peut-être ainsi à vérifier comment je vais vieillir, qu’est ce que je vais faire, qu’est ce que je vais devenir, je ne sais pas.
CD : Avec Internet, il y a un devenir qui est présent tout le temps, une ouverture de possibilités...
AM : … de renouvellement, de rajeunissement…
CD : … d’autocréation.
AM : Ça permet de se réinventer un peu. Une des mamies m’a dit « tu m’as sortie de ma tombe »…
Pour moi ça reste un objet magique. C’est une lampe d’Aladin. Je me suis sentie devenir multiple. Tu as une vie, tu en as deux, trois, tu en as cinq, c’est le rêve !
Je pense que s’il n’y avait pas eu Internet, je serai encore dans mon laboratoire à mesurer des fibres optiques. Peut-être que la différence avec les jeunes générations, c’est que la magie est déjà assimilée, intégrée. Plus que l’âge, c’est surement une différence dans la représentation que l’on en a. Moi, dans ma tête, c’est des machines, des fils, des fibres optiques, des liens, j’ai une vision presque physique du réseau. Je vois presque les commutateurs qui font « tac tac » ! La représentation de l’objet matériel.
CD : Justement, pour poursuivre sur la question de la génération, je coordonne en ce moment un projet nommé Génération schizo , qui est un projet collaboratif réunissant une trentaine de personnes. Ce projet est construit autour d’un abécédaire, celui d’une génération, la dernière ayant grandie sans Internet. Le A correspond à « avatar », le B à « bêta », le C à « cagoule », le D à « direct » ... Chaque lettre fera l’objet d’un petit livre. Ce projet, né sur Internet, sera aussi publié en ligne sous forme de livre électronique. Il a notamment pour objectif de créer des dialogues entre différents supports de création, entre Internet et le livre. En effet, ce seront des petits livres qui ne seront pas autonomes, mais feront toujours appel à …
AM : … des recroisements…
CD : Oui, des recroisements, avec des éléments sur Internet.
Ce serait comme pétrifier les flux ?
CD : Un peu, mais sans stopper l’évolution.
Toi aussi Albertine tu veux passer au format papier.
AM : Oui. Pas pour pétrifier, mais pour mesurer l’épaisseur. Pour retourner en arrière, me forcer à archiver sur une forme plus standardisée, plus communicable, plus explicite. Sur un ordinateur, je switche très vite. Je me dis : « ça je le lirai plus tard ». Il y a une culture de la consommation, des médias, de la bascule. Je trouve que le livre réinscrit dans une autre temporalité. Quand tu as une exposition dans un festival numérique, ce n’est pas documenté avant, et il n’y pas de catalogue pour le remontrer. Je pense que le livre amène à un autre temps de compréhension, pour montrer les choses, les expliquer. Il permet de resynthétiser un travail, l’inscrire dans le temps, le cataloguer.
Il y a peu de livres qui montrent le travail des net artistes, il n’y a que peu de livre d’images, de catalogue de captures d’écran . Il n’y a presque rien qui retrace ce parcours là. Passer d’une forme que tu vois à l’écran, sur un autre support, dans un temps complètement différent, cela implique de rentrer dans…
CD : … d’autres contraintes, d’autres paramètres, d’autres symboliques.
AM : Et d’un point de vue économique, alors qu’on est totalement autonome en produisant et donnant tout en ligne, repasser dans des formats plus classiques signifient trouver de l’argent, un éditeur… J’aimerais trouver le moyen de pousser la provocation jusqu’au bout, en trouvant les moyens de financer le livre et de le mettre en libre service. Les mettre dans des lieux, comme le don à l’étalage.
Mon dernier travail s’appelle Around the world ; j’utilise quatre vues de Google Street View que j’ai hackées , pour créer une vue globale, imaginaire. J’appelle ça des tableaux.
Tu reviens à tes collages du début ?
AM : Oui, je reviens à cette forme-là peut-être, mais dans une forme beaucoup plus inscrite dans le réseau. Le premier tableau s’appelle : Je martelais sans cesse . C’est un tableau où je recompose un paysage, entre le physique et le virtuel, entre deux mondes. Ce tableau recompose donc un paysage, en l’occurrence un nuage dans le premier tableau, à partir de quatre vues différentes issues de Google Street View. Ces vues directement extraites de Google Street View visent non pas la rue, mais je relocalise la vue vers le ciel. Il y a dans ces paysages des vues « hackées de Google Street View, du texte, des animations, des dessins. Ce collage se situe entre l’objet hyper technique (pour hacker la vue Google street view, j’ai une technique très particulière), et la recomposition d’un paysage imaginaire, entre ici et là. La question du lieu, du flux qui avance de manière fluide et continue. C’est le travail qui me tient le plus à cœur en ce moment. Ensuite je voudrais rematerialiser ces tableaux par des aquarelles. Ça se rapproche d’un travail de peintre. Pour recomposer deux vues, c’est très minutieux, et c’est à la fois une recomposition totalement abstraite. Cela rejoint deux axes de mon travail à la fois très technique et très graphique.
Et que dire de la loi Hadopi ?
AM : La copie fait partie de la pratique. C’est fondamental. Copier du texte, du code, des images, copier des sons, se les approprier, les modifier. Cela fait partie de la pratique d’Internet.
CD : Mais c’est une copie intelligente, une pratique consciente d’elle-même. Il ne s’agit pas de consommation.
AM : La copie libre fait partie du media. Vouloir l’empêcher, c’est antinomique avec la pratique même. Elle est de toute façon impossible à contrôler, car dès qu’il y a une barrière, il y a toujours des moyens de la contourner. C’est complètement illusoire.
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