dimanche 2 mai 2010

Marnie Weber ou Scarlett O’Hara chez les morts-vivants

Le Centre d’art le Magasin, à l’occasion de la rétrospective consacrée au travail de Marnie Weber, accueille The Spirit Girls, hôtes revenues de l’au-delà pour délivrer leur message mystique d’émancipation. Ce groupe de rock, constitué de cinq adolescentes, aurait disparu dans les années 1970 dans des circonstances tragiques…



Dès la première salle de l’exposition, le ton est donné : aux pieds d’une femme sortie directement de la Planète des singes, un tapir rose porte une tortue en sac à dos, accompagnant une Tiger girl (issue, elle, d’un film de Hayao Miyazaki), tandis qu’un clown à tête d’hippopotame nous enjoint à pénétrer dans un univers dont l’inquiétante étrangeté côtoie le kitsch. Quatre films sont diffusés dans des pièces indépendantes, et nous suivons les péripéties des Spirit Girls dans un monde ingrat, habité de personnages mi-animaux mi-humains, grotesques et vicieux. Le groupe de musique va ainsi se produire dans un cabaret (Songs that Never Die, 2005), dans l’Ouest américain fantasmatique (A Western Song, 2007), autour d’un feu de camp (The Campfire Song, 2009), chantant leur message à travers l’Amérique. Les Spirit Girls abandonneront finalement leur lutte, souillées, pour se noyer – telle la petite sirène à la fin du conte – et rejoindre le monde des morts (The Sea of Silence, 2009).

Marnie Weber achève à Grenoble le cycle des Spirit Girls ; cette rétrospective marquant l’aboutissement d’un travail de cinq années. Mais ce qui déstabilise le visiteur, davantage que les films, ce sont les installations qui les accompagnent. L’artiste crée en effet pour chaque projection un cadre, en écho au décor du film, dans lequel le spectateur entre, littéralement. Dans The Sea of Silence, nous sommes invités à nous asseoir à des tables de cabaret, éclairées par des bougies. Un homme à tête de cochon est assis au sol avec une élégance autoritaire, et semble adopter la position de figure de repoussoir, nous sommant d’entrer dans la composition comme dans un tableau baroque. Cette présence, extrêmement dérangeante, nous confond ; la scène filmée n’est plus si éloignée de celle que nous vivons. La musique, omniprésente, contribue à environner le visiteur, et joue un rôle aussi prégnant que les personnages.

Marnie Weber, née en 1959, dans le Connecticut, fut d’abord l’élève de Chris Burden et Alexis Smith lors de ses études au LUCLA de Los Angeles avant de faire partie d’un groupe de punk, les Partys Boys. Après sa dissolution, elle conçoit deux albums solo, Woman with Brass (1994) puis Cry for Happy (1996). Elle réalise ici la bande-son des films, entre nappes planantes et larsens grinçants. C’est d’ailleurs en faisant des collages pour ses pochettes d’albums qu’elle commence une pratique visuelle (le groupe Sonic Youth choisira d’ailleurs l’un de ses travaux pour leur album Thousand Leaves sorti en 1998). L’exposition du Magasin présente plusieurs de ces compositions, où l’artiste n’hésite pas à jouer sur les échelles, selon le geste d’un surréaliste, rejouant la mélodie d’un Hans Bellmer, mais cette fois sur fond de coucher de soleil, peuplés de petites femmes en robes victoriennes, de chapiteaux en flammes et de locomotives sorties d’un western spaghetti.

Avec un peu de mauvais esprit, nous pourrions situer la chose entre « Scarlett O’Hara chez les morts-vivants » et « Alice au pays du Far West ». Mais les jeunes femmes de The Spirit Girls font écho au mouvement spiritualiste, constitué de suffragettes et d’abolitionnistes, qui se développa au XIXe siècle aux USA, teintant les couleurs criardes des compositions de Marnie Weber d’un féminisme soutenu. Au sein de ce mouvement, les très jeunes femmes assuraient la fonction de mediums car elles seules possédaient le don d’entrer en contact avec l’au-delà. Dans une société fortement patriarcale, ces adolescentes possédaient donc un pouvoir hors du commun. L’artiste mixe ici les croyances chrétiennes à celles, chamaniques, des amérindiens : si les jeunes femmes sont les porte-paroles du monde des morts, les animaux, quant à eux, se voient dotés d’une intériorité toute humaine par le biais d’un anthropomorphisme cher à La Fontaine. Cependant, les fables de Marnie Weber semblent plutôt avoir été illustrées par un vendeur de farces et attrapes couplé à un taxidermiste. En effet, les sculptures sont des supports de plâtre utilisés par les naturalistes pour soutenir les peaux des animaux, peints et affublés de déguisements de satin, de chapeaux grotesques et de chaussures à plumes. D’horribles petites mouffettes sans poils se répandent dans la salle centrale, où l’artiste a réalisé une composition spécialement pour l’exposition : un radeau de la Méduse encombré de monstres fait face à une Spirit Girl ligotée sur une charrette, rappelant la figure des « hobos », ces vagabonds à la recherche de travail lors de la dépression qui sévit à la fin du XIXe siècle aux USA.

Ainsi, entre attirance et aversion, naïveté et vice, Walt Disney et trash punk, le travail de Marnie Weber s’articule dans un carambolage entre culture populaire, mystique et références historiques. Son travail est en cela très représentatif de la scène californienne actuelle, symbolisée par Paul Mc Carthy et Mike Kelley, dont le leitmotiv est la réappropriation de formes populaires sur le mode du détournement. Notre ressenti en sortant de l’exposition alterne de l’attraction à la répulsion, et se trouve en cela très proche de son travail. Reste un léger écœurement. Nous regrettons enfin que Marnie Weber n’ait pas réalisé de performance, forme à la base de son œuvre, alors qu’une telle exposition, habitée de personnages, appelait la présence de l’artiste.

Exposition Marnie Weber. Forever Free The Cinema Show: A Film Retrospective and Installations
, Du 7 février au 25 avril 2010 au Centre d’art le Magasin (Grenoble)

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