Entretien avec Pierre Alferi, paru dans Area Revu)e( Ciels! Juillet 2010

Les jumelles est un ouvrage «d’anticipation» à très court terme, qui raconte l’histoire d’un homme, Horacio Picq, conspirateur de la Société centrale. Séquestré durant un long week-end d’avril 2009 (soit un mois après la sortie de l’ouvrage) au fort Tremor - où il était venu faire de l’espionnage –, surveillé par une «géante» du nom de Marthe, il se trouve impuissant alors qu’à Paris, l’insurrection gronde. Durant sa détention, il découvre une paire de jumelles ainsi qu’un atlas étoilé ayant appartenu à un certain Auguste.
Vous citez -en quatrième de couverture- une phrase d’Auguste Blanqui, extraite de L’Eternité par les astres, spéculation cosmologique et philosophique, qui est aussi son dernier texte. Il l’avait rédigée alors qu’il était incarcéré au Château du Taureau, dans la baie de Morlaix (1871) : «Tout ce qu'on aurait pu être ici, on l'est quelque part ailleurs». Comment votre ouvrage se situe par rapport au texte de Blanqui ?
L’idée de départ est simple. Quelqu’un se retrouve dans la même situation que lui, enfermé au moment d’une insurrection qu’il a appelée de ses vœux toute sa vie. Incarcéré la veille du déclenchement de la Commune, il ne savait presque rien de ce qui se passait, et c’est alors qu’il a écrit L’Eternité par les astres.
Le paradoxe du dispositif – observer l’univers au fond d’un cachot – est déjà pointé par le texte de Blanqui, car il évoque le « fait » qu’il se trouve également captif dans d’autres mondes parallèles, d’autres systèmes solaires jumeaux, penché et repenché sur la même feuille de papier. J’ai voulu rejouer cette scène aujourd’hui, encouragé par la thèse de L’Eternité par les astres, à savoir que tout ce qui arrive pourrait ne pas arriver – il y a une terre jumelle quelque part où ça n’arrive pas – mais surtout que tout ce qui arrive arrive un nombre infini de fois. Donc la mésaventure de Blanqui aurait pu ne pas arriver – c’est très clair –, mais elle doit se répéter. Des extrêmes se rejoignent : d’un coté quelqu’un de totalement isolé, un tout petit point dans l’univers, de l’autre les hypothèses grandioses qu’il fait sur le cosmos. Et puis l’idée de ne pouvoir assister aux événements auxquels on a tant travaillé, ça me touche.
N’y a-t-il pas aussi une réflexion sur la situation de l’écrivain ?
Pas consciemment. Mais je suppose que la sensation d’être empêché d’agir, d’être foncièrement inefficace, est partagée par beaucoup de gens qui font de la littérature ou de l’art, du moins s’ils ne sont pas cyniques. Ils ont envie de s’engager par leur pratique, notamment dans la lutte sociale, et en même temps ils savent que l’« art engagé » n’a aucun intérêt, aucune pertinence. C’est un dilemme.
Vous pensez que l’art engagé n’a pas d’impact sur le réel ?
L’art dit « engagé » renonce aux exigences et à la radicalité de l’art lui-même. S’engager, c’est généralement pour lui se changer en communication, en propagande, en discours édifiant, en kitsch didactique. Il croit devoir abdiquer toute ambition formelle – l’innovation, la complexité, la polysémie. L’utopie des avant-gardes au début du vingtième siècle était de conjoindre une politique et une esthétique révolutionnaires, mais c’est du coté politique que ça n’a pas du tout suivi. Les velléités avant-gardistes des artistes, en Russie ou en Italie, ont été rapidement brimées.
Ou récupérées.
Ou récupérées.
Le personnage principal serait donc un « double » de la situation de Blanqui au Château du Taureau, mais il me semble un peu « éthéré ». Finalement il oublie très vite la Révolution. Auguste Blanqui au contraire a vécu soixante-seize ans et en a passé quarante-quatre en prison pour avoir attisé l'espoir d'une société de liberté…
C’est vrai. A la différence de Blanqui sans doute, Picq est ambigu. Il n’est pas si mécontent que cela d’être enfermé. Il ne fait pas d’efforts énormes pour s’en tirer, et il a un coté « bébé ». Finalement il n’est pas si mal, on peut dire qu’il est « cageôlé ». Dès le départ il chemine dans des entrailles souterraines, et il ne sort jamais, il a quelque chose de régressif. Il se laisse infantiliser. Du coup, dans ses observations, il mélange grandes visions cosmiques et rêveries sur la conception, la gestation, la naissance d’un enfant. Sa geôlière est très maternelle. Ce peut être une mauvaise mère à certains moments, mais c’est une mère. Elle est opulente, elle le nourrit. Picq est donc le contraire de ce que l’on s’imagine du révolutionnaire adulte et viril. Il est aussi une petite chose qui demande à être maternée, puis expulsée, mise au monde.
Le livre se termine d’ailleurs sur le fait qu’elle est peut être enceinte.
Voilà. Ce qui ne veut pas dire du tout pour moi, comme certains l’ont cru, que, des perspectives politiques communes, on retombe dans le privé, le familial, voire la psychologie petite-bourgeoise. Ce ne sont pas deux choses qui s’opposent. Ce sont les accidents de la vie. De tels événements – une insurrection, une grossesse – sont imprévisibles. La naissance d’un enfant, quels que soient les préparatifs et les subterfuges médicaux, cela reste foncièrement imprévisible et sidérant. Même chose pour une insurrection. Il ne s’agit pas de les mettre sur le même plan, mais de considérer l’expérience commune qu’on en fait : pris au dépourvu, à contre-pied, dépassé par l’événement.
Il semble que Les Jumelles ont suscité quelques incompréhensions.
Oui, surtout face à la situation politique. Moi cela m’amusait de raconter une histoire qui se passait plus tard, au moment précis où le livre sortirait (en avril 2009). J’avais fait une sorte de pari : raconter une insurrection comme celle de mai 1968, mais au printemps qui venait. Elle me paraissait tout à fait possible, je dois dire, et urgente. Je me disais : si elle a lieu, tant mieux, je serai pour une fois « en phase » avec l’événement. Mais si elle n’a pas lieu ça ne voudra pas dire qu’elle n’était pas possible. C’était le côté « roman d’anticipation », à quelques jours de distance. Certains de ceux qui l’ont lu tout de suite, soit au moment des faits fictifs, se sont inquiétés de ce que, comme dans le livre le soulèvement n’a finalement pas lieu, ça pouvait être démobilisateur ! Comme si la fiction avait force de loi, qu’elle condamnait le projet même d’insurrection. C’était l’inverse de mon intention, et d’ailleurs de l’idée que je me fais d’un roman, qui pour me plaire doit être tout sauf édifiant.
Pensez-vous que notre époque pourrait voir naître un Blanqui, ou le fait d’avoir choisi un personnage ambivalent, tel qu’Horacio Picq, dit quelque chose de notre temps en particulier ?
Je n’y ai pas pensé comme ça. J’y réfléchis maintenant que vous me le dites. C’est certain que ce révolutionnaire-là est assez facilement distrait et abusé. D’un autre côté, le discours insurrectionnel qui revient à la mode se paye un peu de mots. Peut-on souhaiter qu’un petit groupe dérobe l’arsenal d’un commissariat et, comme à l’époque de Blanqui, tente de rameuter la population en parcourant les rues ? Ça ne peut plus se passer comme ça. Il faut plus d’imagination pour créer un élan révolutionnaire aujourd’hui. On ne peut pas se contenter de rêver le retour de Blanqui tel qu’en lui-même. C’est un homme du XIXème siècle, et même, en un sens, du XVIIIème. Il a un côté visionnaire que j’admire, plus moderne que Marx par exemple dans sa vision chaotique et bégayante de l’Histoire. Mais d’un autre coté, c’est un héritier des comploteurs de la monarchie, des carbonari. Son rapport à la chose militaire, on ne peut guère s’en inspirer. C’est quelqu’un qui n’a pas connu la démocratie moderne, sauf à la toute fin. Il n’était pas vraiment démocrate, d’ailleurs. Le coup de force, c’est quelque chose de séduisant, et de peut-être inévitable, mais je suis un peu agacé par le retour de la rhétorique strictement militaire dans le discours gauchiste aujourd’hui. C’est de la mythologie plus qu’autre chose. Mais je m’empresse de dire que je n’ai rien à proposer, pas le moindre plan de bataille. Tout ce que je peux faire, à ma toute petite échelle, c’est d’être fidèle à des sensations, des perceptions, qui ne sont pas seulement les miennes mais qui, je pense, sont propres à l’époque. Ce serait de la pure démagogie de dire : « En avant les nouveaux Blanqui, repartons comme en quarante-huit ! »
C’était plutôt la situation de quelqu’un d’enfermé, impuissant face aux évènements qu’il a fomentés.
Oui, ce sentiment d’impuissance politique générale, auquel je n’ai pas de solution à apporter.
Ce qui pourrait caractériser notre époque.
Oui oui, mais entre l’impuissance et la résignation ou le cynisme, il y a une différence énorme. Je n’ai pas l’illusion confortable qu’« il n’y a rien à faire », par exemple contre la pantalonnade affairiste et répressive qu’on appelle le « sarkozisme ». Il y a tout à faire.
Il m’apparaît que Blanqui, dans son texte L’éternité par les astres, est extrêmement pessimiste. La description faite de la situation politique dans votre ouvrage est réelle, certes, mais extrêmement pessimiste aussi.
C’est vrai. Blanqui disait qu’il ne faut pas essayer de se consoler : « On n’est que trop consolés ». Dans la tradition marxiste on a souvent péché par optimisme. Ou, en tout cas, on a trop cru en une nécessité historique déchiffrable, et donc on annonçait ce qui devait arriver – la baisse tendancielle des salaires, la prise de conscience, la révolte. Je pense que l’on peut être actif politiquement sans se promettre quoi que ce soit, sans espérer ou croire, sans prophétisme. Ça ne veut pas dire qu’ainsi on n’est pas déçu. Seulement qu’on n’accorde pas trop de crédit à la « nécessité » historique, ou même économique.
Il y a cette idée, dans l’ouvrage de Blanqui, qu’il n’y a pas de progrès : « L’avenir reverra sur des milliards de terres les ignorances, les sottises, les cruautés de nos vieux âges ! ».
Blanqui est l’un des seuls à contester cette idée à gauche, en même temps que Baudelaire, qui lui s’est tourné vers Joseph de Maistre après le massacre de 1848. Il le fait de façon très forte, en disant que le progrès est un mythe de vainqueurs. C’est l’histoire racontée du point de vue de ceux qui restent, qui repartent debout du champ de bataille. Et il est aussi le premier qui ait osé parler pour les prolétaires, dès les années 1830. Pas seulement pour les vaincus du combat politique, mais pour tous les engloutis de l’Histoire. Ceux qui ont été défaits, mais aussi oubliés, effacés avec leur autre vision, leur autre expérience du monde.
Que pensez vous de la théorie de l’éternel retour, telle qu’élaborée par Nietzsche, chez qui le texte de Blanqui a une importance particulière?
Ce ne sont bien sûr pas des théories validables scientifiquement. Comme l’idée qu’il existe d’autres monde égaux et différents, la « pluralité des mondes », qui a été régulièrement invoquée par les matérialistes et les athées. Et pas ailleurs. Il est crucial, dans le matérialisme, de montrer que ce qui existe peut être autrement. Les mondes parallèles, ça matérialise cette pensée pour éradiquer de l’univers la providence, la fatalité, le destin. Il y a toujours plusieurs possibilités, et si ce monde-ci a pris telle direction, ce n’est pas parce que c’était la seule possible ; il aurait tout à fait pu en prendre mille autres. On trouve ça chez Lucrèce et les matérialistes antiques. Blanqui retrouve cette idée, à laquelle il ne croit sans doute pas vraiment, mais qui lui sert à maximiser la force du possible, du contingent. A chaque instant le monde bifurque, et la « preuve », ce serait qu’il y ait effectivement d’autres mondes réels au bout de tous les chemins que le nôtre n’a pas pris. C’est une hypothèse limite. L’éternel retour, en un sens, c’est aussi un pari qui porte au plus haut l’affirmation du devenir, la volonté de l’épouser, de chevaucher le dragon. Ensuite, savoir si c’est absurde ou pas, s’il faut y croire, je ne sais pas. C’est surtout un énoncé de la forme : « Je veux. » « Je veux que ça recommence indéfiniment. » ». Et, pour Blanqui: « Je veux que tout, tout ce qui dépend de volontés humaines, puisse être autrement. »
Ce n’est donc pas si pessimiste.
Non. Le texte de Blanqui, je l’ai lu plusieurs fois dans ma vie ; par hasard la première fois, et sans lire de commentaires jusqu’à très récemment. Spontanément, je l’ai pris comme quelque chose d’exaltant, et pas du tout comme un cauchemar. Cela dit, je comprends que l’on y voie un cauchemar, il y a des moments très lugubres. La reproduction des horreurs, ce qu’Adorno appelait l’« histoire naturelle de l’humanité ». Mais ce n’était pas mon sentiment le plus fort. Benjamin dit que Blanqui rend les armes devant la bourgeoisie triomphante du Second Empire, et qu’il offre à la classe dominante, comme un cadeau empoisonné, une vision infernale du retour de sa propre domination, de sa propre histoire mesquine et sanglante. C’est une lecture brillante, mais je la trouve tirée par les cheveux. Blanqui ne parle pas seulement de l’histoire de la domination, il parle du tout de l’Histoire, donc aussi de tout le possible. Je ne sais pas quelle est la meilleurs interprétation, mais je sais laquelle je préfère.
Pourquoi avoir utilisé des vers pour décrire l’expérience visuelle que le personnage a à travers les jumelles ?
Je ne me suis pas posé la question. Il devait s’agir en tout cas d’une interruption du récit. Car le récit n’est pas à la première personne, Picq n’est qu’un personnage. Or, quand il regarde à travers ses jumelles, il parle et décrit ce qu’il voit. Ce qui m’intéressait, c’était ce qu’il voyait, ou ce qu’il croyait voir – j’ai lu pendant six mois des livres d’astronomie. En adoptant son point de vue à lui, à la première personne du singulier et au présent, j’étais de toute façon dans tout à fait autre chose que le récit. En plus, ce sont des visions fragmentaires, très déroutantes au début, il n’a aucun recul. Il est traversé par des vitesses, des échelles de distances extrêmement différentes. Il ne pouvait donc pas avoir une parole posée, produire un discours. Ce n’était pas non plus quelque chose qui pouvait être adressé à quelqu’un, ça devait être une espèce de monologue ou de cellulogue intérieur. Et donc, assez naturellement, ça a pris une forme hachée, dans une syntaxe discontinue. Il dit un bout de truc, puis un autre. Pour cela les vers c’est idéal, puisque ce ne sont pas forcément des unités grammaticales. Elles peuvent s’enchaîner, ou non – il peut y avoir un temps, un battement entre les moments. Et puis c’est une registre d’écriture dans lequel je me retrouve mieux que dans la narration. Je ne voulais pas m’astreindre un récit linéaire. Il semblait juste de distinguer nettement les moments de contemplation, puisqu’ils ponctuent l’histoire de façon régulière. Chaque nuit, où il observe les étoiles avec ses jumelles, est un moment à part, presque autarcique. Et néanmoins, le fait de regarder le ciel le fait sortir.

Blanqui pouvait-il voir le ciel alors qu’il était enfermé au Château du Taureau?
Je ne crois pas. Il y a une biographie remarquable de Geffroy, qui a rencontré Blanqui et décrit précisément ses différentes détentions. Pour celle de 1870 au Fort du Taureau, le tableau est terrible. Il n’y a pas de point de vue, Blanqui est vieux, il ne voit pas la mer, juste une lucarne haute. Il ne sort pratiquement jamais, sauf dans une cour intérieure et aveugle. Je souhaite pour lui qu’il ait eu un télescope et qu’il ait pu voir le ciel, mais j’en doute fort. En revanche, il avait une formation scientifique, il était très savant et curieux, et il s’était déjà intéressé de près à la cosmologie. Ce n’était pas qu’une rêverie littéraire.
Il y a quelque chose que l’on retrouve avec les vers, c’est cet état altéré de conscience, un peu halluciné, qui se ressent dans le texte de Blanqui.
Peut-être. Ce n’est pas le même style, mais il y a comme une suspension. De toute façon, quand on décrit le ciel, pas définition, on perd son ancrage, ses repères. C’est un emportement, un vol.
Comment écrivez-vous ces passages en vers ?
Dans un état second. Ce livre, je l’ai écrit l’été sur le toit de mon immeuble. Je cherchais l’ombre et l’eau, j’étais souvent hébété par la chaleur. Il ne sert à rien d’être studieux pour écrire des passages comme ça. Il faut être très relâché, attraper des petits bouts de choses.
Les Jumelles semblent être un « mobile » qui parcourt tout l’ouvrage.
Ce sont bien entendu les sœurs, mais aussi l’appareil optique. Je ne pense pas qu’il y ait d’autres langues où on appelle cela des « jumelles ». C’est un thème, oui, pas au sens de sujet, mais comme un motif. Dans L’Eternité par les astres de Blanqui, la Terre est dotée de jumelles en nombre infini. Dans mon texte, c’est aussi la façon ambivalente dont Picq voit sa geôlière, et dont elle-même le voit. Tour à tour il la perçoit comme bienfaisante et malfaisante, traîtresse et complice. De fait, elle alterne la douceur et la dureté. Du coup il la voit double, ce sont les deux objets d’amour, jumeaux mais opposés. Les jumelles et les deux yeux, c’est un hasard de jeu de mots, mais ça convenait bien. Comment voir de très loin son propre reflet ? Dans le texte de Blanqui, il feint parfois de se reconnaître au fond du cosmos. Tout se répète sans être identique. Quand une chose se répète, elle ne peut être la même puisqu’elle est déjà connue. On peut dire que c’est le motif central de cette histoire.
N’y a-t-il pas une parabole de l’amour ? Etre à la merci de quelqu’un, entre la révolte et la soumission, mais dépendant de l’autre, se tromper sur son identité, faire des suppositions, des hypothèses…
C’est résolument une histoire d’amour, d’amour étrange. Un huis clos amoureux. Un jeu de séduction et de découverte. On a l’impression – et je pense que c’est la réalité d’une rencontre amoureuse – que d’un moment à l’autre paraît quelqu’un de différent. Le corps de l’autre est capable de métamorphose. Picq éprouve cela au début comme une chose étonnante mais non surnaturelle. Et puis il se demande s’il n’y a pas vraiment deux femmes. C’est un travers banal de diviser l’objet d’amour en deux, le bon et le mauvais, pour échafauder des fantasmes. Mais les conséquences de l’ambivalence, surtout quand elle est réciproque, sont incalculables et retorses. Elles font l’essentiel de l’histoire, qui suit l’évolution rapide et violente d’un amour.

Les jumelles est un ouvrage «d’anticipation» à très court terme, qui raconte l’histoire d’un homme, Horacio Picq, conspirateur de la Société centrale. Séquestré durant un long week-end d’avril 2009 (soit un mois après la sortie de l’ouvrage) au fort Tremor - où il était venu faire de l’espionnage –, surveillé par une «géante» du nom de Marthe, il se trouve impuissant alors qu’à Paris, l’insurrection gronde. Durant sa détention, il découvre une paire de jumelles ainsi qu’un atlas étoilé ayant appartenu à un certain Auguste.
Vous citez -en quatrième de couverture- une phrase d’Auguste Blanqui, extraite de L’Eternité par les astres, spéculation cosmologique et philosophique, qui est aussi son dernier texte. Il l’avait rédigée alors qu’il était incarcéré au Château du Taureau, dans la baie de Morlaix (1871) : «Tout ce qu'on aurait pu être ici, on l'est quelque part ailleurs». Comment votre ouvrage se situe par rapport au texte de Blanqui ?
L’idée de départ est simple. Quelqu’un se retrouve dans la même situation que lui, enfermé au moment d’une insurrection qu’il a appelée de ses vœux toute sa vie. Incarcéré la veille du déclenchement de la Commune, il ne savait presque rien de ce qui se passait, et c’est alors qu’il a écrit L’Eternité par les astres.
Le paradoxe du dispositif – observer l’univers au fond d’un cachot – est déjà pointé par le texte de Blanqui, car il évoque le « fait » qu’il se trouve également captif dans d’autres mondes parallèles, d’autres systèmes solaires jumeaux, penché et repenché sur la même feuille de papier. J’ai voulu rejouer cette scène aujourd’hui, encouragé par la thèse de L’Eternité par les astres, à savoir que tout ce qui arrive pourrait ne pas arriver – il y a une terre jumelle quelque part où ça n’arrive pas – mais surtout que tout ce qui arrive arrive un nombre infini de fois. Donc la mésaventure de Blanqui aurait pu ne pas arriver – c’est très clair –, mais elle doit se répéter. Des extrêmes se rejoignent : d’un coté quelqu’un de totalement isolé, un tout petit point dans l’univers, de l’autre les hypothèses grandioses qu’il fait sur le cosmos. Et puis l’idée de ne pouvoir assister aux événements auxquels on a tant travaillé, ça me touche.
N’y a-t-il pas aussi une réflexion sur la situation de l’écrivain ?
Pas consciemment. Mais je suppose que la sensation d’être empêché d’agir, d’être foncièrement inefficace, est partagée par beaucoup de gens qui font de la littérature ou de l’art, du moins s’ils ne sont pas cyniques. Ils ont envie de s’engager par leur pratique, notamment dans la lutte sociale, et en même temps ils savent que l’« art engagé » n’a aucun intérêt, aucune pertinence. C’est un dilemme.
Vous pensez que l’art engagé n’a pas d’impact sur le réel ?
L’art dit « engagé » renonce aux exigences et à la radicalité de l’art lui-même. S’engager, c’est généralement pour lui se changer en communication, en propagande, en discours édifiant, en kitsch didactique. Il croit devoir abdiquer toute ambition formelle – l’innovation, la complexité, la polysémie. L’utopie des avant-gardes au début du vingtième siècle était de conjoindre une politique et une esthétique révolutionnaires, mais c’est du coté politique que ça n’a pas du tout suivi. Les velléités avant-gardistes des artistes, en Russie ou en Italie, ont été rapidement brimées.
Ou récupérées.
Ou récupérées.

C’est vrai. A la différence de Blanqui sans doute, Picq est ambigu. Il n’est pas si mécontent que cela d’être enfermé. Il ne fait pas d’efforts énormes pour s’en tirer, et il a un coté « bébé ». Finalement il n’est pas si mal, on peut dire qu’il est « cageôlé ». Dès le départ il chemine dans des entrailles souterraines, et il ne sort jamais, il a quelque chose de régressif. Il se laisse infantiliser. Du coup, dans ses observations, il mélange grandes visions cosmiques et rêveries sur la conception, la gestation, la naissance d’un enfant. Sa geôlière est très maternelle. Ce peut être une mauvaise mère à certains moments, mais c’est une mère. Elle est opulente, elle le nourrit. Picq est donc le contraire de ce que l’on s’imagine du révolutionnaire adulte et viril. Il est aussi une petite chose qui demande à être maternée, puis expulsée, mise au monde.
Le livre se termine d’ailleurs sur le fait qu’elle est peut être enceinte.
Voilà. Ce qui ne veut pas dire du tout pour moi, comme certains l’ont cru, que, des perspectives politiques communes, on retombe dans le privé, le familial, voire la psychologie petite-bourgeoise. Ce ne sont pas deux choses qui s’opposent. Ce sont les accidents de la vie. De tels événements – une insurrection, une grossesse – sont imprévisibles. La naissance d’un enfant, quels que soient les préparatifs et les subterfuges médicaux, cela reste foncièrement imprévisible et sidérant. Même chose pour une insurrection. Il ne s’agit pas de les mettre sur le même plan, mais de considérer l’expérience commune qu’on en fait : pris au dépourvu, à contre-pied, dépassé par l’événement.
Il semble que Les Jumelles ont suscité quelques incompréhensions.
Oui, surtout face à la situation politique. Moi cela m’amusait de raconter une histoire qui se passait plus tard, au moment précis où le livre sortirait (en avril 2009). J’avais fait une sorte de pari : raconter une insurrection comme celle de mai 1968, mais au printemps qui venait. Elle me paraissait tout à fait possible, je dois dire, et urgente. Je me disais : si elle a lieu, tant mieux, je serai pour une fois « en phase » avec l’événement. Mais si elle n’a pas lieu ça ne voudra pas dire qu’elle n’était pas possible. C’était le côté « roman d’anticipation », à quelques jours de distance. Certains de ceux qui l’ont lu tout de suite, soit au moment des faits fictifs, se sont inquiétés de ce que, comme dans le livre le soulèvement n’a finalement pas lieu, ça pouvait être démobilisateur ! Comme si la fiction avait force de loi, qu’elle condamnait le projet même d’insurrection. C’était l’inverse de mon intention, et d’ailleurs de l’idée que je me fais d’un roman, qui pour me plaire doit être tout sauf édifiant.
Pensez-vous que notre époque pourrait voir naître un Blanqui, ou le fait d’avoir choisi un personnage ambivalent, tel qu’Horacio Picq, dit quelque chose de notre temps en particulier ?
Je n’y ai pas pensé comme ça. J’y réfléchis maintenant que vous me le dites. C’est certain que ce révolutionnaire-là est assez facilement distrait et abusé. D’un autre côté, le discours insurrectionnel qui revient à la mode se paye un peu de mots. Peut-on souhaiter qu’un petit groupe dérobe l’arsenal d’un commissariat et, comme à l’époque de Blanqui, tente de rameuter la population en parcourant les rues ? Ça ne peut plus se passer comme ça. Il faut plus d’imagination pour créer un élan révolutionnaire aujourd’hui. On ne peut pas se contenter de rêver le retour de Blanqui tel qu’en lui-même. C’est un homme du XIXème siècle, et même, en un sens, du XVIIIème. Il a un côté visionnaire que j’admire, plus moderne que Marx par exemple dans sa vision chaotique et bégayante de l’Histoire. Mais d’un autre coté, c’est un héritier des comploteurs de la monarchie, des carbonari. Son rapport à la chose militaire, on ne peut guère s’en inspirer. C’est quelqu’un qui n’a pas connu la démocratie moderne, sauf à la toute fin. Il n’était pas vraiment démocrate, d’ailleurs. Le coup de force, c’est quelque chose de séduisant, et de peut-être inévitable, mais je suis un peu agacé par le retour de la rhétorique strictement militaire dans le discours gauchiste aujourd’hui. C’est de la mythologie plus qu’autre chose. Mais je m’empresse de dire que je n’ai rien à proposer, pas le moindre plan de bataille. Tout ce que je peux faire, à ma toute petite échelle, c’est d’être fidèle à des sensations, des perceptions, qui ne sont pas seulement les miennes mais qui, je pense, sont propres à l’époque. Ce serait de la pure démagogie de dire : « En avant les nouveaux Blanqui, repartons comme en quarante-huit ! »
C’était plutôt la situation de quelqu’un d’enfermé, impuissant face aux évènements qu’il a fomentés.
Oui, ce sentiment d’impuissance politique générale, auquel je n’ai pas de solution à apporter.
Ce qui pourrait caractériser notre époque.
Oui oui, mais entre l’impuissance et la résignation ou le cynisme, il y a une différence énorme. Je n’ai pas l’illusion confortable qu’« il n’y a rien à faire », par exemple contre la pantalonnade affairiste et répressive qu’on appelle le « sarkozisme ». Il y a tout à faire.
Il m’apparaît que Blanqui, dans son texte L’éternité par les astres, est extrêmement pessimiste. La description faite de la situation politique dans votre ouvrage est réelle, certes, mais extrêmement pessimiste aussi.
C’est vrai. Blanqui disait qu’il ne faut pas essayer de se consoler : « On n’est que trop consolés ». Dans la tradition marxiste on a souvent péché par optimisme. Ou, en tout cas, on a trop cru en une nécessité historique déchiffrable, et donc on annonçait ce qui devait arriver – la baisse tendancielle des salaires, la prise de conscience, la révolte. Je pense que l’on peut être actif politiquement sans se promettre quoi que ce soit, sans espérer ou croire, sans prophétisme. Ça ne veut pas dire qu’ainsi on n’est pas déçu. Seulement qu’on n’accorde pas trop de crédit à la « nécessité » historique, ou même économique.
Il y a cette idée, dans l’ouvrage de Blanqui, qu’il n’y a pas de progrès : « L’avenir reverra sur des milliards de terres les ignorances, les sottises, les cruautés de nos vieux âges ! ».
Blanqui est l’un des seuls à contester cette idée à gauche, en même temps que Baudelaire, qui lui s’est tourné vers Joseph de Maistre après le massacre de 1848. Il le fait de façon très forte, en disant que le progrès est un mythe de vainqueurs. C’est l’histoire racontée du point de vue de ceux qui restent, qui repartent debout du champ de bataille. Et il est aussi le premier qui ait osé parler pour les prolétaires, dès les années 1830. Pas seulement pour les vaincus du combat politique, mais pour tous les engloutis de l’Histoire. Ceux qui ont été défaits, mais aussi oubliés, effacés avec leur autre vision, leur autre expérience du monde.
Que pensez vous de la théorie de l’éternel retour, telle qu’élaborée par Nietzsche, chez qui le texte de Blanqui a une importance particulière?
Ce ne sont bien sûr pas des théories validables scientifiquement. Comme l’idée qu’il existe d’autres monde égaux et différents, la « pluralité des mondes », qui a été régulièrement invoquée par les matérialistes et les athées. Et pas ailleurs. Il est crucial, dans le matérialisme, de montrer que ce qui existe peut être autrement. Les mondes parallèles, ça matérialise cette pensée pour éradiquer de l’univers la providence, la fatalité, le destin. Il y a toujours plusieurs possibilités, et si ce monde-ci a pris telle direction, ce n’est pas parce que c’était la seule possible ; il aurait tout à fait pu en prendre mille autres. On trouve ça chez Lucrèce et les matérialistes antiques. Blanqui retrouve cette idée, à laquelle il ne croit sans doute pas vraiment, mais qui lui sert à maximiser la force du possible, du contingent. A chaque instant le monde bifurque, et la « preuve », ce serait qu’il y ait effectivement d’autres mondes réels au bout de tous les chemins que le nôtre n’a pas pris. C’est une hypothèse limite. L’éternel retour, en un sens, c’est aussi un pari qui porte au plus haut l’affirmation du devenir, la volonté de l’épouser, de chevaucher le dragon. Ensuite, savoir si c’est absurde ou pas, s’il faut y croire, je ne sais pas. C’est surtout un énoncé de la forme : « Je veux. » « Je veux que ça recommence indéfiniment. » ». Et, pour Blanqui: « Je veux que tout, tout ce qui dépend de volontés humaines, puisse être autrement. »
Ce n’est donc pas si pessimiste.
Non. Le texte de Blanqui, je l’ai lu plusieurs fois dans ma vie ; par hasard la première fois, et sans lire de commentaires jusqu’à très récemment. Spontanément, je l’ai pris comme quelque chose d’exaltant, et pas du tout comme un cauchemar. Cela dit, je comprends que l’on y voie un cauchemar, il y a des moments très lugubres. La reproduction des horreurs, ce qu’Adorno appelait l’« histoire naturelle de l’humanité ». Mais ce n’était pas mon sentiment le plus fort. Benjamin dit que Blanqui rend les armes devant la bourgeoisie triomphante du Second Empire, et qu’il offre à la classe dominante, comme un cadeau empoisonné, une vision infernale du retour de sa propre domination, de sa propre histoire mesquine et sanglante. C’est une lecture brillante, mais je la trouve tirée par les cheveux. Blanqui ne parle pas seulement de l’histoire de la domination, il parle du tout de l’Histoire, donc aussi de tout le possible. Je ne sais pas quelle est la meilleurs interprétation, mais je sais laquelle je préfère.
Pourquoi avoir utilisé des vers pour décrire l’expérience visuelle que le personnage a à travers les jumelles ?
Je ne me suis pas posé la question. Il devait s’agir en tout cas d’une interruption du récit. Car le récit n’est pas à la première personne, Picq n’est qu’un personnage. Or, quand il regarde à travers ses jumelles, il parle et décrit ce qu’il voit. Ce qui m’intéressait, c’était ce qu’il voyait, ou ce qu’il croyait voir – j’ai lu pendant six mois des livres d’astronomie. En adoptant son point de vue à lui, à la première personne du singulier et au présent, j’étais de toute façon dans tout à fait autre chose que le récit. En plus, ce sont des visions fragmentaires, très déroutantes au début, il n’a aucun recul. Il est traversé par des vitesses, des échelles de distances extrêmement différentes. Il ne pouvait donc pas avoir une parole posée, produire un discours. Ce n’était pas non plus quelque chose qui pouvait être adressé à quelqu’un, ça devait être une espèce de monologue ou de cellulogue intérieur. Et donc, assez naturellement, ça a pris une forme hachée, dans une syntaxe discontinue. Il dit un bout de truc, puis un autre. Pour cela les vers c’est idéal, puisque ce ne sont pas forcément des unités grammaticales. Elles peuvent s’enchaîner, ou non – il peut y avoir un temps, un battement entre les moments. Et puis c’est une registre d’écriture dans lequel je me retrouve mieux que dans la narration. Je ne voulais pas m’astreindre un récit linéaire. Il semblait juste de distinguer nettement les moments de contemplation, puisqu’ils ponctuent l’histoire de façon régulière. Chaque nuit, où il observe les étoiles avec ses jumelles, est un moment à part, presque autarcique. Et néanmoins, le fait de regarder le ciel le fait sortir.

Blanqui pouvait-il voir le ciel alors qu’il était enfermé au Château du Taureau?
Je ne crois pas. Il y a une biographie remarquable de Geffroy, qui a rencontré Blanqui et décrit précisément ses différentes détentions. Pour celle de 1870 au Fort du Taureau, le tableau est terrible. Il n’y a pas de point de vue, Blanqui est vieux, il ne voit pas la mer, juste une lucarne haute. Il ne sort pratiquement jamais, sauf dans une cour intérieure et aveugle. Je souhaite pour lui qu’il ait eu un télescope et qu’il ait pu voir le ciel, mais j’en doute fort. En revanche, il avait une formation scientifique, il était très savant et curieux, et il s’était déjà intéressé de près à la cosmologie. Ce n’était pas qu’une rêverie littéraire.
Il y a quelque chose que l’on retrouve avec les vers, c’est cet état altéré de conscience, un peu halluciné, qui se ressent dans le texte de Blanqui.
Peut-être. Ce n’est pas le même style, mais il y a comme une suspension. De toute façon, quand on décrit le ciel, pas définition, on perd son ancrage, ses repères. C’est un emportement, un vol.
Comment écrivez-vous ces passages en vers ?
Dans un état second. Ce livre, je l’ai écrit l’été sur le toit de mon immeuble. Je cherchais l’ombre et l’eau, j’étais souvent hébété par la chaleur. Il ne sert à rien d’être studieux pour écrire des passages comme ça. Il faut être très relâché, attraper des petits bouts de choses.
Les Jumelles semblent être un « mobile » qui parcourt tout l’ouvrage.
Ce sont bien entendu les sœurs, mais aussi l’appareil optique. Je ne pense pas qu’il y ait d’autres langues où on appelle cela des « jumelles ». C’est un thème, oui, pas au sens de sujet, mais comme un motif. Dans L’Eternité par les astres de Blanqui, la Terre est dotée de jumelles en nombre infini. Dans mon texte, c’est aussi la façon ambivalente dont Picq voit sa geôlière, et dont elle-même le voit. Tour à tour il la perçoit comme bienfaisante et malfaisante, traîtresse et complice. De fait, elle alterne la douceur et la dureté. Du coup il la voit double, ce sont les deux objets d’amour, jumeaux mais opposés. Les jumelles et les deux yeux, c’est un hasard de jeu de mots, mais ça convenait bien. Comment voir de très loin son propre reflet ? Dans le texte de Blanqui, il feint parfois de se reconnaître au fond du cosmos. Tout se répète sans être identique. Quand une chose se répète, elle ne peut être la même puisqu’elle est déjà connue. On peut dire que c’est le motif central de cette histoire.
N’y a-t-il pas une parabole de l’amour ? Etre à la merci de quelqu’un, entre la révolte et la soumission, mais dépendant de l’autre, se tromper sur son identité, faire des suppositions, des hypothèses…
C’est résolument une histoire d’amour, d’amour étrange. Un huis clos amoureux. Un jeu de séduction et de découverte. On a l’impression – et je pense que c’est la réalité d’une rencontre amoureuse – que d’un moment à l’autre paraît quelqu’un de différent. Le corps de l’autre est capable de métamorphose. Picq éprouve cela au début comme une chose étonnante mais non surnaturelle. Et puis il se demande s’il n’y a pas vraiment deux femmes. C’est un travers banal de diviser l’objet d’amour en deux, le bon et le mauvais, pour échafauder des fantasmes. Mais les conséquences de l’ambivalence, surtout quand elle est réciproque, sont incalculables et retorses. Elles font l’essentiel de l’histoire, qui suit l’évolution rapide et violente d’un amour.
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