mardi 26 octobre 2010

Quand y a-t-il œuvre de David Renault ?



David RENAULT, Flag bag, 2010, tissu, peinture aérosol, pochoir, dimensions variables
(c) David Renault

En 1913, Duchamp posa la question : « Comment faire pour que quelque chose ne soit pas de l’art ? ». Bien des années après, Nelson Goodman déplace quelque peu le problème et demande : «Quand y a-t-il art ?»Une chose pourrait ainsi fonctionner comme œuvre d’art à certains moments et pas à d’autres, différence qui tient à un élément fondamental : le contexte. Aussi nous est-il possible de reformuler la question face au travail de celui qui nous intéresse : « Quand y a-t-il œuvre de David Renault ?».
Telle une nature morte contemporaine, l’artiste a disposé dans le grillage du périphérique niçois des sacs plastiques, symboles éculés du déchet colonisateur,tourbillons fanés. Or qui distinguera l’installation de l’artiste du lot quotidien de déchets qui jonchent les abords de la chaussée ? Se trouvant privée de marqueurs de l’art, il est indécidable pour le passant non prévenu de savoir s’il y a ou non intention d’art, voire intention tout court[2]. A chacun d’user de sa liberté d’offrir une perception œuvrée à ces agencements inopinés surgit au coin d’une route. Cependant, le choix d’un modèle de sac peu commun, uniformément noir, fonctionne comme un indice, un signe territorial, et laisse poindre un discret soupçon ; cherchez donc ce drapeau pirate, emblème de l’occupation artistique clandestine, anonyme et temporaire, d’espaces délaissés.
Questionnant la notion de transfert et de déplacement d’un même objet dans un contexte différent, David Renault ne transpose pas le sac tel quel dans l’espace d’exposition. Il prend le parti d’opérer un renversement : le sac, cette fois en tissu, devient l’étendard aux armes du détritus conquérant - rayures dorées, larges bandes blanches et bleues - et flotte impunément au haut d’un mat (Flag Bag). C’est ainsi que, selon une logique proche du chiasme, l’œuvre trouve son intensité dans l’écho résonnant entre les deux installations et leur contexte respectif. Ce travail interroge ainsi tant les lieux de l’art que sa réception, comme si l’artiste cherchait à nous confondre.

David RENAULT, Bag Flag, 2010, intervention urbaine

(c) David Renault

Je ne peux m'empêcher cette note: Le drapeau de David Renault fut ôté le jour du vernissage et durant la durée de l'exposition, suite à un quiproquo avec le propriétaire des lieux. Ce dernier ne supporta pas que le drapeau français, qui flottait habituellement au dessus de la Villa Cameline, soit ôté sans son autorisation (...). Ce drapeau avait en effet une valeur toute sentimentale pour lui. Le titre de ce texte, écrit en amont de l'exposition, sonnait alors comme une prédiction malheureuse, et le travail de David s'en trouvait d'autant plus énigmatique - et politique.


Texte publié dans le catalogue de l'exposition Relatives à la Villa Cameline, Nice, du 01/10 au 17/10/2010.
Exposition commissionnée par Claire Migraine et Nicolas Müller

Catalogue: Relatives, Villa Cameline, 01/10 — 17/10/2010.
Textes de Marie Bechetoille, Louise Bernatowiez, Sophie Coda, Nicolas de Ribou, Marianne Derrien, Anthoni Dominguez, Sandra Doublet, Laurine Fabre, Sophie Lapalu, Bénédicte Le Pimpec, Mathieu Loctin, Claire Migraine et Richard Neyroud
Conception graphique : Mengya vs Florian

Édité par les curateurs et les artistes, avec le soutien d’Hélène Fincker et des EDITIONS DEL’ART
Textes n&b, images en couleur
21 x 15 cm
32 pages
500 ex.
7 €
Diffusion et commande : EDITIONS DEL’ART


[1]GOODMAN Nelson, « Quand y a-t-il art ? » dans Esthétique et poétique textes réunis et présentés par Gérard Genette, Paris : « Point Essais », Seuil Editions, 1992, p.67-82.

[2]Cf. MOINEAU Jean-Claude, L’art dans l’indifférence de l’art, Paris : PPT/ Éditions, 2001, p. 100.

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