Tu es musicien.ne, performeur.euse, danseur.euse, compositeur.ice, photographe, chef.fe de chorale, chercheur.euse, DJ.ette, militant.e, tu as fait des création radiophoniques, as étudié à l’école d’art de Cergy, au post diplôme Exerce, au post diplôme Arts et création sonore à Bourges et aujourd’hui tu es chercheur.euse à la Coopérative de recherche de l’école d’art de Clermont Ferrand. Toi, comment tu te présentes ?
Ces dernières années, avec Hot Bodies of the Future, je me suis aperçux de différences singulières dans nos manières de se définir en tant que minorités. Je crois que je perds petit à petit le goût d’une identité-image - comme celle qu’une majorité de personnes pourraient se faire d’un couple gay ou d’une fille trans par exemple et des formes de récits et de militances qui en découlent - pour m’intéresser plutôt aux pratiques de vie, d’art, d’activisme qui ne sont peut-être pas encore tout à fait des images mais qui agissent déjà sur le réel, les corps et les inter-relations. Des identités-praxis un peu. J’essaie de comprendre comment faire l’expérience de ma propre multiplicité comme une forme de présence ; une chorale. L’idée d’être multiple, fluide, imprévisible, aujourd’hui c’est une résistance en fait. Un glitch dans le code. Cultiver une présence publique trouble, complexe ça a pu me jouer des tours, mais j’aime l’idée de pouvoir muter, d’adapter mon soi / self aux circonstances sociales politiques que je traverse. Au présent, je crois. Comme un kaléidoscope. Alors, en ce moment, j’essaie d’embrasser les identités des différents contextes auxquels je participe, GÆRALD quand je fais de la musique, Gérald Kurdian pour les projets de performance ou d’art contemporain, Æ dans les jeux videos, un corps non-binaire anonyme dans les manifestations, un corps privilégié quand je facilite un workshop entre autres.
Tu regroupes certaines facettes de ce kaléidoscope au sein de Hot Bodies of the Future, un projet large, qui comprend Hot Bodies Choir.s, Hot Bodies Nights, Hot Bodies Club, Hot Bodies Camp, Hot Bodies Stand Up… et X ! (un opéra fantastique) . A travers ces différentes formes (chorales, soirées, performances, workshops), travaillées souvent en collaboration, se pose la question de la façon dont les minorités sex-positive font usage de la musique, de l’activisme et des pratiques artistiques pour embrasser leurs révolutions. Comment cela se traduit-il dans Hot Bodies ? Il me semble important aujourd’hui de faire passer les expériences et les pratiques révoltées avant l’idée que l’on se peut se faire des révolutions. Dans l’ultra libéralisme, on est entrainé.e.s à conceptualiser, à rendre image, à se représenter ce pour quoi on a le désir d’expérience. Sans toujours y plonger. Et on vit des sidérations sans nom. Les projets Hot Bodies justement voudraient répondre à ces fantasmes en proposant des formes de vie collective où on ne peut rien faire d'autre que de vivre une expérience, la laisser nous transformer et se laisser la possibilité de la conceptualiser a posteriori.
Les clubs, les salles de concerts et les salles de spectacles (et les manifestations) sont de bons endroits pour ça, pour se laisser transformer par une complexité, par une excitation des corps. Par ailleurs, dans Hot Bodies on crée aussi des contextes pour remettre au centre, redonner du pouvoir à des formes de vie marginalisées, en créant des contextes où ce sont elles même qui décident du tissu politique, qui proposent leur propres écologies de relations. En cela, je ne me sens pas particulièrement l’écho de ces révolutions mais plutôt à la recherche des structures (contextuelles ou interpersonnelles) qui permettraient à cet écho d’advenir. J’ai toujours en tête cette idée qu’en tant que corps minorisés on développe des outils, des pratiques et des pensées du politique qui peuvent servir une action/reflexion politique collective. Mais j’ai vu aussi comment les minorités, gay en particulier, se sont vues transformées en idée plutôt que réellement invitées à participer à la construction du politique. Je les sens encore controlées par les choix dominants et on leur demande en plus la politesse de ne pas chahuter car on leur donne des privilèges. Je préfère imaginer des contextes où on expérimente ensemble des formes de vies collectives inclusives, réparatrices et critiques, pour se poser ensemble la question des épanouissements possibles et des dommages provoqués par nos choix de politique. Et pour ça les pratiques artistiques sont assez idéales. Peu de lieux permettent de ne pas être assigné-es à une forme et autorisent l'imprévisibilité… Tu dis d’ailleurs que “les clubs, les salles de concerts et les salles de spectacles sont de bons endroits pour proposer des formes de vie collective”. Or ce sont des lieux que l’on fréquente la nuit. Dans Hot Bodies Stand Up, une fiction autobiographique qui emprunte au stand up, à la musique live et à la photo, tu racontes une enquête (de nuit ?) dont le point de départ est la rencontre avec un tag rencontré : “male, female, fucko”. On te suit par la suite découvrant des alternatives politiques queer, fétichistes ou écosexuelles. Les images sont prises au flash, la nuit, ou dans des espaces sombres. On y voit des corps nus, des plantes prises en photo la nuit, des gens qui font l’amour, et tu racontes le récit d’une soirée de sexe avec la nature. Il me semble que la nuit peut être considérée comme un espace à la marge, contre hégémonique, comme lieu d'expérience où l'invisible devient visible, où "les rouages du système dominant sont rendus manifestes" (Rachele Broghi), "un lieu de possibilités radicales, un espace de résistance" (bell hooks). La nuit serait un espace de créativité privilégié pour des formes de résistances. Comment perçois-tu cet espace ? Comment influence-t-il ton travail ? Exactement, je me sens très proche de ces idées. D’abord, la nuit c’est l’un des espaces que les cultures heteronormatives choisissent d’éviter. En même temps que la vieillesse, l’obésité ou l’idée même de mort. J’ai été insomniaque des années et c’est en partie grâce aux clubs que j’ai pu faire quelque chose de ces heures marginales. La nuit, c’est un endroit qu’on associe au mystère, au caché, à l’inconscient, au rêve mais c’est surtout une dimension en tant que telle où il est plus facile de se cacher pour exister. Je pense par exemple aux lieux de drague en plein air. Après, les communautés club noires et latino américaines autour de la disco et de la house ont lié l’histoire de la résilience des minorités lgbtqiea+ à celle des lieux où ces dernières se retrouvaient la nuit. On en a fait des lieux d’expression pour celleux qui n’auraient pas eu de place pour elleux même dans la journée, un endroit pour se draguer sans risquer de se faire agresser et un endroit pour laisser son être prendre ses formes rêvées. Avec le VIH, j’ai l’impression que la joie de la fête est une réponse à la douleur et aux affects traumatiquestraumas qui liaient les communautés transgaislesbienne à ce moment-là, la musique comme les drogues comme des possibilités d’évasion. Pour moi le club est une hétérotopie, un lieu où je tente des manières d’être avant de les essayer en public la journée. C’est un lieu qui indique des formes temporaires d’intimité grâce à la musique, on peut danser ensemble et se valider intimement, faire des rencontres avec les autres qui sont comme des rencontres avec soi-même. Le club c’est une alternative au théâtre, le club a des règles plus floues, on est mobiles, on peut gérer son tempo, puis c’est un lieu de sensations, on communique par états.
Tu organises bientôt des HOT BODIES CLUB à Clermont Ferrand ; tu fais un appel à toustes “les performeureuses, musiciennes, drag kings ou queens, créatures du futur, deejayys, artistes en tout genre, associations, issues des luttes queer, trans, feministe, sorcières, eco-sexuelles, pro-sexe, anti-raciste, anti-grossophobie et synergies” à participer à une soirée. Les Club hot bodies c’est l’idée de faire exister dans un club une série d’expériences qui permet d’arriver à la danse après une série de rencontres artistiques ou théoriques, commme si on essayait de révéeler et de charger ce que ça veut dire de danser ensemble en tant que minorités.
La nuit, c’est aussi un état de corps, qui se libère de l’efficacité diurne, de ce rapport au travail, à la productitivité et à toust les rapports interpersonnels qui y sont attachés.
Jacques Rancière le démontre dans La nuit des prolétaires : Archives du rêve ouvrier ; la nuit c’est le moment où les ouvriers peuvent échapper au travail harassant pour lire ou écrire et s’émanciper de leur condition…
Dans la nuit on peut perdre ça, on peut devenir autre, réécrire nos rapports sociaux. Dans Hot Bodies, on cherche à accueillir ces états- là. Ou à les photographier. Dans mes images il y a deux directions : une qui consiste à regarder ce que j’appelle le monde froid, et là ce sont les machines, les corps en plastiques, les absurdités du monde ultra libéral, avec humour et l’autre pour faire exister la sensorialité qui se révèle dans le monde inverti, le monde obscur, dans les espaces troubles. Quels sont les états de ces corps (humains et non humains) ? Quelles sensations vivent-ils ou provoquent-ils ? Est ce que leur régime de sensation échappe à une approche normative du senti ? Est ce qu’on peut imaginer une révolution par l’ouverture des corps, des pores, des muqueuses plutôt qu’une idée strictement territoriale? Ou est ce qu’on peut se servir de la nuit comme d’un espace pour regarder au dedans de soi, dans l’intime de nos collectivités mais aussi dans l’intime de nos selves, de nos organes, de nos pensées, de nos rêves ? Finalement, si le corps est le site d’oppressions et de résistances, Hot bodies of the future permet d’investir ce site-là collectivement. Tu te formes également au travail du sexe - travail méconnu, interdit donc marginalisé, caché, et souvent associé à la nuit justement. Tu as également fait un documentaire radiophonique en 2006, Je suis putain : une série d’entretiens avec des travailleuses du sexe alors que les lois Sarkozy contre le "racolage passif" les contraignent à s'effacer. Chez toi, la performance, la musique, la danse, comme le travail du sexe, sont des outils politiques ? Je me raconte ça différemment, plutôt comme une manière de participer à la fabrication de la culture. En jouant avec les visions, les sensations, les affects, en fabriquant des percepts alternatifs, on permet à l’imaginaire et aux pratiques d’évoluer et donc par capillarité ça finit par avoir une incidence politique. Je ne sais pas du coup si je parlerais d’outils, mais plutôt des composants d’une matrice politique. Penser qu’on peut faire de l’art sans avoir de lien au politique pour moi c’est juste une validation des languages culturels dominants et une perpetuation des systèmes d’exclusion, de discrimination et de hierarchisation. Entre la performance, la danse, peut-être un peu la musique et la sexologie pratique (qui est ce que j’apprends, et qui est vraiment à distinguer des travaux du sexe en rue, en maison ou sur le net), il y a des liens très forts dans le sens que ce sont, entre autres, des chemins d’apprentissage somatiques. Elles nous apportent une foule d’informations sur la manière qu’a le corps de ressentir, de mémoriser, de traduire. C’est déjà un chemin vers la subjectivisation des corps. Puis il y a la question du plaisir, de la jouissance (sensorielle ou esthétique) qui sont aujourd’hui au centre de la bataille que l’on mène pour la réappropriation de nos subjectivités et qui sont donc fondamentalement politiques. Est ce que j’éprouve le plaisir de l’idée ou la sensation de plaisir ? Est ce que je trouve plaisir à l’expérience de ce tableau par sensation ou par agrément socio-culturel ? Et la réponse est probablement un peu des deux à la fois. Mais il m’importe aujourd’hui de comprendre ce qui est à l'œuvre dans ma manière de ressentir, d’éprouver. Par ailleurs, j’ai pu rencontrer ces dernières années nombre de démarches artistiques, souvent performatives ou chorégraphiques, qui cherchent des liens entre justice réparatrice et art, états du corps et changement social, notamment Anna Halprin, Keith Hennessy, Brian Lobel, Beth Stephens et Annie Sprinkle. Et toutes ces personnes ont été ou ont soutenu les travailleureuses du sexe. Ça me donne confiance dans le potentiel des pratiques artistiques à agir sur le corps social. A littéralement utiliser le toucher, l’intimité, l’expression, le plaisir comme des outils de déconstruction ou de tissage politique. À lire aussi, le merveilleux livre d’Adrienne Maree Browne “ Pleasure Activism”.
La fête est aussi un espace privilégié pour échapper aux normes ; James C Scott à propos du Carnaval dit ceci « Les normes habituelles régulant les rapports sociaux ne sont pas appliquées, et le port de déguisement ou l’anonymat conféré par la foule amplifie le sentiment général de liberté – et de licence. Abandon physique, célébration du corps à travers la danse, promiscuité sexuelle et impudeur généralisée. […] Elle permet à certaines choses d’être dites, à certaines formes de pouvoir social d’être exercées alors qu’elles sont tues ou réprimées hors de cette sphère rituelle particulière. » (James C Scott La domination est les arts de la résistance, fragments du discours subalterne [1992], Ed. Amsterdam, 2008, p. 190.) Bien sûr, le carnaval est une forme de fête particulière, mais ne peut-on appliquer ce qu’il dit aux Hot Bodies Club ?
Oui, en partie. Je ne crois pas qu’il y ait d’état du corps neutre. Tout est construit puisque tout est perçu. Il ne reste alors que du jeu. Je vois les identités normatives comme aussi construites que les identités marginales (qui leur sont d’ailleurs souvent plaquées ou qu’elles sont contraintes de porter). On joue avec les codes, les fictions politiques et certaines sont plus confortables que d’autres ou plus toxiques. Dans les Hot Bodies Club, on laisse aux personnes qui viennent la possibilité de choisir leur edit pour la soirée, on essaie juste de rappeler comment certains de ces edits fabriquent quelque chose de socialement écologique et que d’autres vont créer de la violence, du clivant, etc. En cela la pensée du carnaval est bien parce qu’elle donne aux individusindivicues la possiblité de choisir ce qu’ielles peuvent tordre dans leur identité pour brûler ce à quoi ielles sont soumis. Aussi, je parle souvent en ce moment d’à quel point il me semble que nous manquons de plus en plus d’outils pour dialoguer avec ce qui nous dépasse, la mort, le chaos, la colère. Le carnaval est une réponse traditionnelle à ça qui semble appartenir aux générations précédentes, qu’on nous a seulement peu légué. A nous alors de trouver des moyens de réinventer les pratiques collectives, les endroits où on peut brûler quelque chose ensemble, consciemment. Comme la magie. J’attends beaucoup des collectivités queer pour soigner ce septicisme idiot que j’ai pour les pratiques spirituelles (aussi parce que dans ce domaine c’est vraiment dur d’échapper à l’appropriation culturelle). Je sens qu’avec les pratiques de fabulation et d’invention de soi, plus l’urgence d’inventer des vocabulaires imaginaires et concrets pour accompagner les parcours trans et la fluidité en général, il est aussi urgent d’inventer les pratiques et les contextes culturels qui peuvent les faire exister, leur donner une existence concrète, indiscutable, et comme je disais au début, déjà dans le tissu politique (qui ne réclame pas la reconnaissance d’un parent dominant qui accepterait en fronçant les sourcils de partager son pouvoir).
Dans Indiscipliner la langue : politiques de fugues et résistance cyborg et cuir, Pedro Tadeo Cervantes Garcia (traduit par Sarah Netter) expose un rapprochement entre malade du sida gay et cyborg avant d’ajouter : « En plus des ajouts cliniques, il utilise des mécanismes qui construisent ce qu’il est, qui raconte une autre possibilité de son corps qui n’est pas celle d’un langage hétérosexuel : silicones, perruques, talons, paillettes. » Bêtement, c’est en lisant cela que j’ai réalisé que cette esthétique est en fait une esthétique non hétérosexuelle ; kitsh, vulgaire, exubérante ou baroque, glamour, expansive, selon le point de vue que l’on choisit, elle piétine le bon gout forgé à l’art conceptuel occidental blanc hétérosexuel ! Sur scène, en concert ou comme DJette, tu reprends certains de ces aspects, notamment des lanières en cuir de la culture sado maso ou une longue mèche de cheveux violette (je crois?). Comment fais-tu usage de ces attributs-là ?
Déjà pour rebondir par rapport à ta question, je voudrais dire la passion que j’ai pour toustes ces artistes qui insistent à réinventer les esthétiques non heterosexuelle dont tu parles : Pauline Boudry & Renate Lorenz, Brandon Gercara, Victoria Sin dans des registres très différents, Beth Stephens & Annie Sprinkle, Wu Tsang, Shu Lea Chang, il y en a mille. J’ai souvent besoin de me rappeler l’importance de l'opposition, du disruptif dans mon travail. Nous sommes des corps critiques, des formes de crise en corps et pour moi ça s’exprime justement dans une hybridation un peu “gender-non-conforming” des signes, des styles et des identités, une pratique d’être-cyborg. Dans les futurs et les mythologies queer, le modèle héteronormatif comme les identités et le corps qu’il produit est à déconstruire. Toutes les formes de détournement, d’ironie, de glitch, de “camp” sont des chances de déstabiliser les fondements de ces formes de pouvoir. En même temps, ce sont des stratégies qui permettent de voir apparaître les choix politiques à la base de nos cultures et les identités qui en découlent. J’aime bien l’idée de “choix de fiction politique” que Paul B. Preciado utilise pour parler d’identité. Ça éclaire vraiment sur le côté “boite à outil” et ça rend très responsable du choix de ce que l’on est. (Je peux développer ça si besoin, tu me diras). Le corps (et j’y intègre, les appendices technologiques, les apports chimiques, les traitements hormonaux, mais aussi le corps collectif) est comme une grande ligne de code que l’on peut décider de ré-écrire. Et ça fait une synergie pas mal avec mon approche du travail artistique. Il n’y a plus de limites entre le vrai, le faux, le bio ou l’artificiel. Ce qui compte c’est à la fois de donner à voir l’absurdité des choix qui entourent nos identités et en même temps de partager les affects relatifs au fait de s’en libérer. Aujourd’hui, je veux quitter l’assignation au masculin - identité qu’on m’a imposée parce que je suis un corps né.e avec un penis - pour vivre une mutabilité fluide qui me laisserait le choix et la responsabilité des fictions que je disperse. Ça a autant à voir avec la forme (cheveux longs ou courts, habits de club ou jogging, maquillage, etc) qu’avec mes choix de comportements. C’est peut-être ce que m’ont le plus appris mes fréquentations féministes. Quelque chose qui a à voir avec l’écologie. Trouver le corps qui permet le plus de circulation, de mouvement, d’échanges, en même temps qu’il s’émancipe des assignations qu’on lui impose. La scène (concert, performance, djset ou n’importe quel moment public) me permet de faire exister une multiplicité de corps qui met au défi la pensée heteronormative que l’on doit se tenir à une partition toute sa vie. Je me sens beaucoup plus mutant que ça.
Que penses tu d’une certaine forme de « mode queer » ? Serait-ce la voie à la récupération tout azimut ou faut- il se réjouir qu’une esthétique non heteronormative devienne enfin plus visible ?
Cette popularisation du terme, des looks et d’une certaine litterature queer est évidente. Il faut la craindre. Elle génère tous les jours toutes sortes de catastrophes qui vont de la tokenisation, au queer-washing en passant par nombre d’appropriations qui finissent par créer des formes exponentielles de négligences - pour ne pas de dire de violences - envers les personnes concerné.e.s (dont les parcours quotidiens demandent déjà beaucoup de travail invisible). C’est encore un raisonnement par l’image/l’idée et non par la pratique. Il est évident que les savoirs et les savoirs-faire “queer” ont le potentiel d’être fertiles à plus qu’aux membres stricts de nos communautés. On le voit bien dans la façon qu’ont les corps straights de penser leur.s sexualité.s aujourd’hui (en rapport notamment à la prostate, au polyamour, à l’utilisation de sextoys, etc). Le seul moyen que cela puisse évoluer de la manière la plus émanicipante pour toustes, ce serait que l’on reconnaisse les contributions des minorités en tant que participation subjective, en tant qu’autorité, en tant que membres actif.ves de la communauté (et du tissage politique). Ce qui m’amène aux pratiques artistiques. En occident blanc. La culture blanche est habituée à l’emprunt, aux vols, aux viols. Les médias contemporains sont gourmands et les institutions remplissent des cahiers des charges. C’est inimaginable de penser que l’on pourra déconstruire ces systèmes dans les prochains mois. Parfois même, j’ai des conversations avec des proches qui me laissent penser que travailler institutionnellement est inévitablement une confirmation des systèmes de pouvoir. Devant ce constat peu réjouissant, j’ai pris des décisions pour Hot Bodies of the Future. On voit dans les milieux militants les choix stratégiques qui se font en fonction des groupes et des corps. On cherche avec les corps les plus discriminés à créer des contextes de réparation, pourquoi pas non-mixtes, qui les soulageraient de devoir faire de la pédagogie en même temps qu’iels subissent des micro-aggressions, et on invente avec les corps les plus privilégiés des stratégies opératoires en relation avec les corps discriminants. Dans Hot Bodies j’essaie de penser pareil. Le plus radical est en général le moins visible : des formes expérimentales, closes et sans visibilité extérieure pour les expériences les plus radicales (que je ne voudrais pas voir récupérées, récitées ou détournées) plutôt sous forme de workshops - elles doivent pouvoir opérer avec puissance dans l’ombre, elles travaillent sur les formes à venir - et des formes publiques, ouvertes à toustes, comme les performances, les concerts, les videos d’edutainment où je vois, en tant que corps très privilégié, qu’il m’est possible d’entrer en dialogue avec des personnes dominantes et qu’il m’incombe de chercher les moyens de les inviter à des pratiques alternatives de notre commun (et pas à une pédagogie du queer, qui ne les regarde pas). Pour moi il ne faut pas exposer le queer. Il faut tirer du queer différents outils, certains profitant aux personnes concernées dans des espaces dédiés et protégés plutôt dans le sens d’une réparation, et d’autres en partage avec les corps dominants dans le sens d’une prise de responsabilités.
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