Texte écrit pour le catalogue du 68eme Salon de Montrouge
S’emparant avec humour du kitsch des cérémonies officielles, de la pompe des grands discours, du clinquant du décorum, la dernière œuvre de Lena Aboukrat nous interroge : qui a l’honneur d’être célébré·e ? Qui a le droit à la mémoire nationale ? Quels noms seront inscrits sur les monuments ? Le Bal des Oublié.e.s (2024), installation et performance collective, propose de commémorer des personnes décédées que le public considère comme négligé·es par l’Histoire. Les monuments sont en effet à destination des générations futures en vue de consacrer ce qu’il s’est passé, mais qui en décide ? Car au final, qui écrit l’Histoire ? Et qui nous la relate ? « Je mène des recherches sur des gestes historiques de gloires, de fêtes et de défaites. Par cette collection et en la racontant, je cherche à questionner la hiérarchie des savoirs et de celleux qui la racontent ainsi que notre rapport aux institutions comme porteuses de mémoires intimes. » Aussi l’artiste invente-t-il des récits où l’humour côtoie la tragédie, le camp s’allie au drapeau français et le mauvais goût institutionnel frôle le lèse majesté.
Diplômé de la Villa Arson, Lena Aboukrat a grandi dans une famille engagée dans la mémoire de la Shoah ; lui-même travaille aujourd’hui à la librairie du mémorial à Paris. Empruntant des chemins fictionnels entre performances, installations et vidéos, il s’empare de ces questions mémorielles costumé de velours, rehaussé de galons, maquillé de paillettes. Il nous emmène ainsi au travers de récits historiques autant fantasmés que documentés, relatant ici la sororité au sein d’un lieu qui regroupait théâtre, église et université durant la guerre (Vous avez déjà vu un théâtre s’arrêter parce que quelqu’un.e s’est faite écraser dehors ? 2024), et là, un livre de recettes dans le ghetto niçois (Cookbook pour la reine du ghetto ou conte pour servir à l’histoire du spectaculaire Juif, 2023). La vidéo Karussel (2023, du nom du cabaret monté par Kurt Gerron dans le camp de Theresienstadt pour distraire les autres détenu·es) oscille entre documentaire et mise en scène théâtrale ; on y découvre les souvenirs d’enfant cachée de Madeleine Germain, le récit déchirant de Pierre Lellouche (qui découvrit le visage de ses parents jamais connus grâce à une photo de tournage où iels avaient travaillé), ou encore les mémoires de Suzanne Beer, fille d’un compositeur Juif d’opérettes populaires polonaises. L’artiste cherche à retrouver l’ambiance des théâtres juifs de l’entre-deux guerre (Maïta Kanovitch, performance et projection, 2022, One Jewish Women Show, performance, 2022) comme les formes de résistance à l’œuvre dans les camps (Le plus beau moment d’une vie, concert 2021). Ainsi ne cesse-t-il de fouiller dans les fun facts (je le cite) de l’Histoire l’envers de celle-ci.
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