Texte paru dans le catalogue du 68ème Salon de Montrouge
Une nuit, Chloé Viton rêve qu’une vieille femme sort de l’eau pour la prévenir de ne pas se perdre dans les méandres de son esprit. Qui est-elle ? Lors d’un voyage de recherche au Japon, l’artiste découvre Onibaba, yokaï le plus redouté, sorcière ayant perdu la raison après avoir tué sa propre fille enceinte. Ce songe inspire alors à l’artiste une gigantesque statue rouge sang, vêtue de satin moiré, le visage habité de purulences pâles et de rides créées par des fronces de tissu, le cou serti de tiges rouges telles les étamines des lycoris, « la fleur des morts », déposée sur les tombes du soleil levant. À l’intérieur de la sculpture, un thérémine capte les mouvements des visiteur·euse·s et fait entendre son timbre, si proche d’une voix humaine, en écho au premier souvenir de Léon Thérémine - à savoir la voix de sa mère alors qu’il est encore dans son utérus (Hématie, The Birth of Oni Baba, 2023). Onibaba a été activée lors d’une performance où Chloé Viton émerge de la sculpture et déroule un long cordon ombilical, jusqu’à s’endormir au creux des jambes. Voilà l’artiste engendrée par son propre ouvrage.
Généalogie et descendance matrilinéaire sont au cœur de ses œuvres ; s’y côtoient des cocons prêts à se transformer en chrysalides, des œufs sur le point d’éclore - tout ce qui contient un potentiel de gestation. Babas (installation, performance, 2021) s’inspire du comportement matriphage de certaines araignées qui, à la naissance, se nourrissent des fluides corporels de leur mère, jusqu’à la tuer. The Song of Moïra (vidéo, 2022) présente des êtres à tête de lambi, dotés de mains aux ongles de moules, en train de manipuler des œufs tachetés. Les Moïres ont d’ailleurs la charge, dans La République de Platon, de l’équilibre général du vivant, de la naissance à la mort. Cosmic soup (installation performance, 2023) et Midnight Blue, Limestones (vidéo, 2024) s’inspirent de la théorie de la soupe primordiale, scénario scientifique qui cherche à modéliser les origines de la vie sur terre. La présence concomitante d’une grande diversité d’éléments chimiques (carbone, hydrogène, potassium, etc.), essentiels à la vie, aurait augmenté les chances de création du premier organisme. Avec Chloé Viton, ces atomes deviennent autant de personnages et forment une grande famille mythologique. Oxygène (installation performance, 2022) fume depuis les artères d’un organe, le visage dissimulé sous d’épais cheveux noir de jais aux pointes bleues, alangui dans une robe de velours. Les entités présentes dans la vidéo, coiffées de cornes ou de pyramides bourrelées en latex, de perruques synthétiques, de poils d’animaux ou de franges, couvertes de longues parures chatoyantes, se côtoient dans d’obscurs rituels. Si les gestes sont précis, ils restent impossibles à déchiffrer : l’une caresse la surface de l’eau, une autre tresse des herbes... Le son est omniprésent ; enveloppant, il rythme les actions. Cet étrange panthéon dessine ainsi des formes de filiations entre humains et non-humains, croyances archaïques et féminisme troisième génération, bestiaire folklorique et science-fiction.
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