
Texte écrit à l'occasion de l'exposition de Juliette Guérin à la Galerie Artcade, Marseille, suite à la résidence Tremplin
Il y a Hollywood, Marseille, et… les TIEK’S PARTY ! Dès l’entrée de l’exposition, les dix lettres magistrales s’imposent, à la façon de celles qui s’érigent sur les collines de villes célèbres. Ici, elles ont les couleurs fluorescentes et criardes d’une boisson énergisante et clament en chœur le nom des mémorables fêtes organisées par le Centre social St Gabriel, l’été, au pied des cités des Marronniers ou des Rosiers. Tiek’s, c’est la contraction de tiécar, et l’on y vient avec du son, des bonbons et des sodas. Juliette Guerin y a accompagné les travailleur*euses sociaux*les durant l’été 2024 ; elle a alors imaginé ces lettres comme une signalétique drôle et empouvoirante, pour mettre en valeur ces lieux, marquer l’emplacement provisoire des partys et les faire connaître un peu plus. Avec les enfants du quartier, iels ont dessiné la typographie, choisi les couleurs comme la dimension, confectionné ensemble les différentes parties de l’enseigne. En transit dans l’exposition, les lettres fédératrices sont destinées à l’origine à revenir au centre social pour continuer à vivre leur vie de balisage convivial. Et pour contribuer à faire de ces évènements des instants mémorables, l’artiste et les participant*es ont aussi créé une piñata-gâteau remplie de bonbons et un jeu de chamboule-tout créé de toute pièces avec des fausses cannettes de soda : Monster au goût sushi ou Coca au steak. De quoi renverser les normes.
« Chacun*e possède une culture propre ». Aussi « le travail artistique coopératif consiste à les mettre en partage et non pas à inculquer, de manière plus ou moins autoritaire, une culture spécifique1». Pour Juliette Guerin, le travail collectif est une nécessité et la culture un lieu de partage. Une fois diplômée des Beaux arts de Lyon, elle s’est ruée à Marseille pour monter l’atelier collectif Panthera ; elle a trouvé dans la cité phocéenne l’esprit collaboratif et l’entraide qu’elle espérait. Elle a aussi souhaité travailler avec une diversité de publics et s’est pour cela formée au centre de formation des plasticien*es intervenant*es. La résidence Tremplins, menée au sein du Centre social St Gabriel, s’inscrit dans la continuité de ses recherches ; les échanges et les rencontres viennent enrichir ses réflexions plastiques qui elles-mêmes permettent d’imaginer des ateliers drôles et inventifs, dans un jeu d’aller retour permanent. Or une grande part du travail artistique de Juliette Guerin s’attelle à décortiquer les emballages de produits de consommation courante, à désosser et analyser leur packaging dans une relation complexe d’attraction-répulsion, consciente de l’addiction qu’ils génèrent mais cliente invétérée elle-même. 100% Tasty en est l’exemple : cette édition de 200 pages n’est autre que la présentation de sa collection personnelle d’emballages de bonbons et de sachets en poudre alimentaire de toute sorte : qu’ils soient sous forme de cornet de frites ou de glace, de spray ou de dentier, leurs couleurs flashy et leurs typo courbée génèrent une réelle fascination. Les marques s’insinuent dans nos quotidiens : elles sont prescriptrices de goût et deviennent des référents culturels dont l’artiste s’empare pour reconsidérer nos modes de vie, avec autant d’humour que d’inquiétude.
Pour apprendre à maîtriser la machine capitaliste, Juliette Guerin et les adolescent*es qui fréquentent le centre social ont entrepris d’examiner les stratégies marketing déployées par les marques : la façon dont elles communiquent sur les produits, les couleurs qu’elles utilisent, ce que cela engendre comme sentiment. Iels ont cherché à comprendre le fun et l’optimisme généré par un emballage orange aux fruits personnifiés ou au contraire le sentiment de goût du risque d’une griffure triple. Loin de rester des consommateurices passif*ves, iels ont su inventer leurs propres produits, détourner ceux qu’iels connaissent et revendiquer un regard critique sur les stratégies publicitaires. La consommation devient ici un point de ralliement où débattre et inventer.
Réalisé lors de l’accueil jeune, Sculpture Latex est une tentative de reproduction des objets à gagner lors des fêtes foraines, ces jouets en plastique chromé, terriblement désirables. Moulés en latex, déformés, ils sont tout à coup très ambigus, mous, affalés sur eux-mêmes.
Avec les participant*es du programme les Visiteur*euses, l’artiste a imaginé des vidéos satisfaisantes, relaxantes et hypnotisantes, à la façon de celles qui tournent en boucle sur Tik Tok. En groupe, iels ont cherché les recettes de slime (de la colle et de la lessive) et ont suivi les tuto à la lettre avant d’organiser un tournage en studio. Il a fallu définir le cadrage, décider des couleurs de fond, des gestes à accomplir (presser, dissoudre, écraser, lisser ?). Consciencieux*ses, iels se sont entraîné*es jusqu’à réussir à procurer la sensation de bien-être sensoriel produite par la répétition ou l’exploration du comportement des matériaux. Producteur*ices d’images à leur tour, iels nous plongent en gros plan dans la matière colorée, leurs mains encore potelées disparaissant dans une masse visqueuse à paillettes. Ces recherches ont donné à Juliette Guerin l’envie de pousser le jeu plus loin et de créer des vidéos équivoques, attirantes et répugnantes à la fois, inspirées des trends observées sur le net mais aussi des films gores : Monster Energy Slim et Make Up Slim. Dans cette installation, l’artiste se met dans la peau d’une youtubeuse pour rejouer les codes habituellement employés (destruction de maquillage, stimuli auditifs…), mais elle opère quelques virages : à l’entrée, une canette de Monster dégoulinante d’un liquide vert tourne éternellement sur elle-même, comme un publicité de sponsoring ; en lieu et place des fonds chatoyants, un arrière-plan obscur fait disparaître le corps tandis que la matière déborde ; enfin, le son produit par Lucas oscille entre ASMR (réponse sensorielle autonome culminante ) et inquiétante étrangeté. À la place du bien-être escompté, du « massage cérébral » attendu aidant à surmonter le stress, un trouble s’empare de nous, comme une alerte contre la manipulation suggestive des images
1Marie Preston, « Héritages et modalités des pratiques artistiques de co-création », Co-création, CAC Bretigny et editions Empire, Paris, 2018, p. 30

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